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furent oubliés, et on maudit en lui l’espion méprisable aussi bien que le persécuteur sans pitié. Agé alors d’une soixantaine d’années, M. Lambert! était encore vert, et doué d’une certaine beauté septentrionale qui rappelait les barbares de l’ancienne Germanie. Ses manières étaient tantôt rudes et impérieuses, tantôt câlines et doucereuses, trahissant en lui le double caractère de l’aventurier courageux et de l’inquisiteur perfide. Tel était l’homme chargé d’arrêter Paolo et Filippo et de les conduire morts ou vifs à Milan.

Au bout de quelques instans, la voix de Pietro se fit entendre à la fenêtre que Rachel avait ouverte d’abord, et les mêmes questions reçurent les mêmes réponses. M. Lamberti perdit alors patience, et menaça d’enfoncer la porte. — Un moment, messieurs, répondit Pietro en faisant jouer l’amorce d’un fusil; je n’ai aucune envie ni de résister ni de manquer de respect aux représentans de l’autorité légitime.

— Qu’entendez-vous par l’autorité légitime? s’écria M. Lamberti furieux, qui croyait saisir une allusion révolutionnaire. Répondez, ou je vous ferai pendre tout à l’heure.

— J’entends parler de l’autorité de sa majesté l’empereur Ferdinand, répondit Pietro de la meilleure foi du monde. Si vous êtes réellement ce que vous dites, vous serez traités ici avec tous les égards qui vous sont dus; mais il faut d’abord que vous me fournissiez des preuves de votre identité. Pardieu! je n’ouvrirai pas que vous ne m’ayez montré vos papiers. Je vais descendre au rez-de-chaussée et ouvrir le volet d’une petite fenêtre grillée qui donne sur la rue; vous me présenterez vos ordres à travers la grille, et je vous ouvrirai ensuite. Je sais bien que je m’expose à recevoir une balle dans la tête, si vous n’êtes pas ce que vous dites; mais cela ne vous avancerait guère de vous débarrasser de moi. Mes frères sont couchés dans une pièce peu éloignée, et au premier coup de feu ils seront sur pied, ainsi que nos gens. Maintenant attendez une minute, et je suis à vous.

Pendant que ces paroles s’échangeaient, Rachel était retournée auprès de la famille, et chacun, obéissant aux instructions qu’elle apportait de la part de Pietro, s’était enfermé dans sa chambre. Toutes traces du séjour de Paolo dans la cachette avaient déjà disparu, et quand Pietro eut pris connaissance des papiers en question et qu’il ouvrit la porte d’entrée en adressant à M. Lamberti et à ses gens les plus humbles excuses pour sa défiance et sa lenteur, la ferme n’était pas moins silencieuse que le château de la Belle-au-Bois-dormant.

— Où sont les membres de votre famille? demanda le chef des agens autrichiens.