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cependant que la reproduction de passages de Palladius, de Columelle, de Varron, de Pline, de tous les agronomes latins.

Du reste, l’auteur de ce mémoire devait être un des martyrs du progrès agricole. La révolution venue, il ne fut pas lui-même poursuivi, mais il vit tous ses amis dispersés et menacés. L’un d’eux, nommé Dubois, fondateur de la Feuille du Cultivateur, fut arrêté pendant la terreur à cause de ses relations intimes avec Malesherbes. Non-seulement Gilbert fit les plus courageux efforts pour sauver son ami et y réussit, mais, tant que dura sa détention, il remit tous les mois à la femme du prisonnier ce qu’il prétendait être son traitement de membre de la commission d’agriculture, et qui n’était en réalité qu’un secours ingénieusement déguisé. Sous le directoire, Dubois devint chef de la division d’agriculture au ministère de l’intérieur, et Gilbert fut chargé de diriger la bergerie nationale de Rambouillet. Le gouvernement français ayant été autorisé par le traité de Bâle à faire venir de nouveaux mérinos, il fut désigné pour aller les chercher ; mais, une fois en Espagne, le ministère, distrait par les agitations du temps, ne songea plus à lui : Gilbert ne put tenir les engagemens qu’il avait contractés, tomba malade de misère et de chagrin, et mourut à quarante-trois ans dans un village de la Castille. Son Traité des Prairies artificielles a été réimprimé deux fois depuis sa mort, et en dernier lieu, en 1825, avec des notes développées par M. Yvart, aujourd’hui inspecteur-général des écoles vétérinaires.

On trouve dans le même volume un extrait d’un Voyage agricole en Normandie et en Picardie, par le marquis de Guerchy, fils de l’ambassadeur, qui donne des détails intéressans sur l’état de ces deux provinces à cette époque. Il y avait soixante ans, d’après M. de Guerchy, qu’on cultivait tout le pays de Caux, depuis le Havre jusqu’à Dieppe d’un côté et jusqu’à Rouen de l’autre, sans admettre de jachères. L’exemple avait été donné par un seul fermier, dont les prompts succès avaient bientôt attiré beaucoup d’imitateurs. Depuis Dieppe jusqu’à la ville d’Eu, on voyait beaucoup de champs de colza et quelques-uns de lin. Les plantes industrielles commençaient donc dès lors à pénétrer en Normandie ; cette introduction n’est pas tout à fait aussi récente qu’on le croit communément. En Picardie, M. de Guerchy retrouve la culture du lin fort pratiquée dans les environs d’Abbeville, et rend compte de plusieurs grandes entreprises agricoles. « Le Marcanterre est, dit-il, un petit canton à l’extrémité du Ponthieu, conquis depuis soixante ans sur la mer, qui le couvrait avant cette époque ; en se retirant, elle a entraîné une certaine quantité de sable au point de former une digue naturelle. Les habitans des cantons voisins, naturellement industrieux, ont imaginé de la renforcer et de la consolider, pour empêcher la mer de jamais