Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/597

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rurale de la France, qui a doublé depuis 1789, aurait au moins triplé ; à l’exception des vignes, qui ont fait de grands progrès, le midi n’a suivi le nord que de loin. « Puisse, disait en finissant l’auteur du mémoire, la révolution que je prédis n’être pas éloignée ! puissent ces vastes guérets, dont la monotone et triste nudité a si souvent affligé mes regards, les récréer enfin par la douce verdure de mille végétaux réunis ! Puissent-ils m’offrir le spectacle animé de nombreux troupeaux ! Puisse le plus bel ornement des campagnes, l’homme, aussi multiplié que les plantes qu’il cultive, doué de cette beauté mâle et de cette santé robuste que donnent l’habitude du travail et les besoins satisfaits, compléter cet intéressant tableau ! Cette époque fortunée, que ne puis-je concourir à l’appeler parmi nous ! C’est alors que je goûterais la jouissance la plus douce à mon cœur ; alors je serais assuré de la couronne qui peut le plus flatter ma sensibilité ! »

Voilà de bien vives émotions à propos de prairies artificielles, mais c’est ainsi qu’on écrivait à la veille de 1789. Gilbert ne parle pas toujours ce langage attendrissant, il sait aussi parler à propos la langue de la science et de la pratique. Pour n’en citer qu’un exemple, je choisis un végétal qui, après avoir longtemps dormi dans l’obscurité, a été récemment l’objet d’une éclatante réhabilitation, grâce aux merveilles qu’on en obtient dans les sables de la Prusse, le lupin. Gilbert connaissait parfaitement les propriétés de cette plante. « Le lupin enfoui en vert forme, dit-il, pour les terres un engrais excellent et très économique ; cette méthode, qui mériterait d’être plus connue, était généralement pratiquée par les anciens. On ne peut lire les éloges qu’ils donnent au lupin[1] sans regretter qu’il ne soit pas plus cultivé parmi nous. Ses rameaux épais et touffus se couvrent de beaucoup de feuilles et tapissent si exactement la terre que les herbes étrangères périssent sous son ombre. Il paraît soutirer de l’atmosphère tout l’engrais qui le fait végéter, en sorte qu’il rend au sol qui le porte beaucoup plus qu’il n’en reçoit. C’est peut-être le seul végétal qui possède la propriété de croître sur de très mauvaises terres, celui dont la culture exige le moins de soin. Il n’en est pas qui, par sa constitution, soit plus propre à alterner les productions ; sa végétation étant très accélérée, il laisse le temps nécessaire pour préparer la terre aux semailles d’automne. L’engrais qui fournit est le moins cher, le plus aisé à répartir également sur la surface du sol. » J’abrège ces citations, qui semblent empruntées aux plus modernes traités d’agriculture, et qui ne sont

  1. « Lupinus et vicia, si virides succedantur, et statim supra sectas eorum radices aretor, stercoris similitudine agros fecundant. » Palladius, lib. I, tit. 6. — « Frutex lupilli optimi stercoris vim habet. » Columelle, lib. II, cap. 14.