Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/596

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les écrivains agronomiques jouissent rarement du fruit de leurs travaux ; la lenteur des améliorations agricoles ne le leur permet pas, mais les générations qui viennent après eux peuvent constater les effets qui leur échappent. Si ceux qui recommandaient à la fin du XVIIIe siècle la culture des prairies artificielles pouvaient renaître aujourd’hui, ils verraient qu’ils n’ont pas perdu leur temps. Dans la seule généralité de Paris, objet spécial du mémoire de 1788, les prairies artificielles, qui couvraient tout au plus le dixième des terres arables, s’étendent aujourd’hui sur le quart, immense surface conquise pied à pied sur les jachères et les terres incultes. Le mémoire couronné en 1787 nous fournit lui-même le moyen de mesurer avec quelque certitude les progrès accomplis depuis 1789 dans la généralité de Paris et dus en grande partie à la propagation des prairies artificielles. L’auteur fait connaître le prix moyen de location des terres dans chaque élection au moment où il écrivait ; ce prix était en général le quart, et sur beaucoup de points le cinquième de ce qu’il est aujourd’hui. Dans l’élection de Paris, il était pour les terres arables de 16 livres 5 sols pour l’arpent de 51 ares[1], ou 32 francs environ l’hectare ; dans celle de Meaux, de 15 livres l’arpent ou 30 francs l’hectare ; dans celles de Pontoise et de Senlis, de 13 livres 15 sols l’arpent, ou 27 francs l’hectare. Dans les élections de Beauvais, Compiègne, Mantes, Dreux, Montfort, Coulommiers, Étampes, Melun, Rozoy, il se maintenait entre 10 et 12 livres l’arpent, ou de 20 à 24 francs l’hectare. Dans celles de Provins, Nemours, Montereau, Sens, Notent, Joigny, Saint-Florentin, Tonnerre et Vézelay, c’est-à-dire la moitié à peu près de la généralité, il tombait à 8, 7, 6 et même 5 livres l’arpent, ou de 10 à 16 francs l’hectare. La généralité, prise dans son ensemble, nourrissait un million de moutons ; elle en nourrit aujourd’hui trois fois plus, et le revenu de ces animaux ayant doublé par l’effet d’une alimentation plus abondante et d’un croisement avec la race de Rambouillet, le produit total des troupeaux a sextuplé.

Cette admirable extension des prairies artificielles ne s’est pas bornée à la généralité de Paris, elle a gagné presque tout le nord de la France. Le département d’Eure-et-Loir en a aujourd’hui 100,000 hectares, celui de l’Aisne 75,000, celui de l’Bure 65,000. Sur 3 millions d’hectares de prairies artificielles que renferme en tout le territoire national, les trois quarts se trouvent dans la moitié septentrionale, la moitié méridionale n’en possède qu’un quart. Si les deux moitiés du territoire avaient marché du même pas, la richesse

  1. Deux autres sortes d’arpens étaient en usage dans la généralité de Paris, l’un de 34 ares, l’autre de 42 ; mais l’auteur dit expressément qu’il entend parler de l’arpent de 48,400 pieds carrés, c’est-à-dire l’arpent des eaux et forêts, ou de 51 ares.