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conserver le souvenir de cette libéralité, la société avait fait représenter sur un des côtés du jeton qu’elle distribuait à ses membres le roi debout, en costume de cérémonie, et une figure s’inclinant devant lui pour le remercier. Au revers, on voyait une charrue, emblème de la société, et la devise qu’elle avait choisie : ex utilitate decus. C’est ce jeton dont le roi avait accepté l’hommage ; il en était peu de plus touchant.

À peu près vers le même temps, Louis XVI avait donné une autre preuve de sa sollicitude pour l’agriculture, dont la société eut également à le remercier. Les habitans du village d’Orvilliers et de quatorze autres villages du bailliage de Saint-Quentin étaient dans l’usage, à l’instar de leurs voisins, d’employer à leur gré la faucille ou la faux pour couper leurs blés. Le lieutenant du bailliage, qui était seigneur d’Orvilliers, les troubla dans l’usage de ce droit, dont ils jouissaient de temps immémorial : il fit rendre contre eux par son juge une sentence qui leur fit défense, de moissonner avec la faux. Les villages intéressés interjetèrent appel, la sentence fut confirmée par arrêt du parlement : ils dénoncèrent alors l’arrêt au conseil du roi, qui leur donna raison. L’arrêt du parlement fut cassé, et les réclamans furent maintenus dans leur droit de se servir de la faux pour couper leurs moissons. La Société d’Agriculture comprit parfaitement l’importance de cet incident, et donna à l’arrêt du conseil toute la publicité dont elle pouvait disposer. On sait ce qu’était malheureusement devenu le parlement de Paris sous Louis XVI. Ce corps illustre, qui avait failli, pendant la minorité de Louis XIV, doter la France de la liberté politique, avait fini par se faire l’organe d’une opposition taquine contre les idées nouvelles, le défenseur de tous les préjugés comme de tous les abus. À cette occasion, la société prit ouvertement parti contre lui, elle invita tous les jurisconsultes du royaume à lui faire connaître les jugemens qui pourraient être rendus concernant l’agriculture, « les cultivateurs ayant, disait-elle, le plus grand intérêt à savoir jusqu’où s’étendait pour eux la liberté de faire usage des moyens qui leur paraîtraient les meilleurs pour tirer le plus grand parti du sol, et le roi ayant confié aux différens parlemens de son royaume, et par suite à son conseil, le droit de fixer les limites de cette liberté. » En indiquant, par ces termes assez clairs, l’appel au conseil du roi comme le recours naturel contre les parlemens, la Société d’Agriculture avait d’autant plus d’autorité qu’elle contenait dans son sein plusieurs membres du conseil.