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SCÈNES DE LA VIE DES LANDES.

disaient ses amis, les étangs et les viviers particuliers, mais dépeuplant les cours d’eau. Jusque-là, il n’y avait trop rien à dire. On peut, suivant les paysans, être honnête homme et braconnier ; mais il se livrait à un autre genre de braconnage qui troubla plus d’une fois le repos des familles. Frix était joli garçon. D’une taille médiocre, large des épaules, mince de la ceinture, avec une figure pâle, presque féminine, illuminée par deux grands yeux noirs, il ne trouvait que bien peu de cruelles. Les paysans l’accueillaient avec plaisir et l’attiraient chez eux. Étant tous un peu braconniers, ils aimaient à chasser avec un chasseur aussi expert en vénerie rustique. Après la chasse, on revenait manger le gibier, on buvait et on chantait. Malheur alors au chasseur qui avait des filles dans sa maison ! Frix était, à vrai dire, l’almanach chantant du pays. Rondes de l’Armagnac, des Landes et du Béarn, complaintes des illustres scélérats, chansons de soldats et de compagnons du devoir, sa mémoire avait tout retenu, son répertoire était complet. Sa voix, d’un timbre doux et agréable, allait au cœur de ces pauvres filles, qui le lendemain, toutes pensives, essayaient de répéter les refrains en piochant la terre. Et quand il avait chanté, on dansait, et il était passé maître en fait de danses. Il était si agile, il regardait si tendrement sa danseuse, il lui pressait si doucement la main ! aucune n’en réchappait. D’ailleurs, eussent-elles échappé au poison de ces soirées intimes, Frix les rattrapait en plein soleil, dans l’arène de la course aux taureaux, car Frix était écarteur, et nul mieux que lui ne savait franchir d’un bond l’animal furieux, ou par une feinte habile esquiver son coup de tête et lui laisser donner son coup de corne dans le vide. Combien de filles sentirent leur courage ébranlé et maudirent leur résistance après l’avoir cru mort sous les pieds du taureau, ou après l’avoir vu traversant la place couronné de lauriers au milieu des fanfares retentissantes et sous les bravos de tous les spectateurs debout autour de l’arène !

Frix était un don Juan rustique, et il avait même sur la conscience d’assez méchantes actions. Plus d’un père de famille l’avait attendu derrière une haie avec un fusil chargé, et le braconnier avait quelquefois entendu les chevrotines siffler à ses oreilles. Aussi, lorsqu’une de ses aventures avait quelque suite fâcheuse, il prenait le parti de s’exiler dans les landes jusqu’à ce que la colère des parens fût apaisée. Il était alors le galant en titre de Marioutete, qui prétendait avoir fixé le cœur du volage Frix, et qui se vantait, devant les victimes de ce dernier, qu’elle se ferait épouser quand elle le voudrait. Ce mariage eût pu avoir lieu, car Frix commençait à être las de cette vie errante et de ces amours mêlés de coups de fusil ; mais Jean Cassagne ne se souciait pas de l’avoir pour gendre, « Tu peux causer avec Frix tant que tu voudras, disait-il à Marioutete ; je