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de Paris aux états-généraux, et qui donna le signal de la réunion de la noblesse au tiers-état ; il prit une part active aux premières délibérations de l’assemblée, et s’y montra des plus dévoués aux idées de liberté politique et d’égalité civile. Après les massacres de septembre, il se réfugia, à Gisors, où il fut assassiné. Le duc de La Rochefoucauld-Liancourt, son cousin, est mort en 1827, à l’âge de quatre-vingts ans. C’est lui qui, attaché à la personne de Louis XVI, lui fit, après la prise de la Bastille, cette réponse connue : « Mais c’est donc une révolte ? avait dit le roi. — Non, sire, c’est une révolution, » parole fatale et qu’on a pu trop souvent répéter depuis. Député aux états-généraux par la noblesse de Clermont en Beauvoisis, le duc de Liancourt y vota avec le parti constitutionnel. Plus heureux que son cousin, il échappa au poignard, émigra en Angleterre et aux États-Unis, et rentra en France après le 18 brumaire. Une partie de la génération contemporaine a pu le voir encore, retiré au château de Liancourt, activement occupé d’agriculture et d’industrie, et s’attachant à répandre toutes les nouveautés utiles, comme la vaccine et l’enseignement mutuel : un des rares exemples que notre siècle a connus de cette pléiade de grands seigneurs philosophes d’avant 1789, qui ont péri presque tous dans la tourmente, et dont les survivans ont gardé jusqu’au bout une imperturbable confiance dans l’avenir, un amour exclusif de la popularité, les convictions passionnées et jusqu’aux illusions de leur jeunesse !

Quand Arthur Young vint pour la première fois en France, en 1787, il y fut surtout reçu par la maison de La Rochefoucauld. Il descendit, à Paris, à l’hôtel du duc de Liancourt, fut conduit par lui à Versailles et à Saint-Cloud, et alla passer une saison aux eaux de Bagnères-de-Luchon avec le duc et la duchesse de La Rochefoucauld. Il fait, dans son voyage, un agréable tableau de la vie qu’il menait aux eaux en si belle compagnie, sauf qu’il ne pouvait s’habituer à s’habiller tous les jours pour dîner à midi et passer le reste de la journée au salon avec les dames. « A quoi est bon un homme, dit-il, quand il a mis sa culotte et ses bas de soie, et qu’il a son chapeau sous le bras avec la tête bien poudrée ? Peut-il botaniser dans une prairie pleine d’eau ? Peut-il grimper sur des rochers ? Peut-il travailler avec des laboureurs ? » Le plaisir de la conversation avec des personnes si distinguées le retient cependant. À son retour à Paris, il se rend au château de Liancourt, dans l’intention d’y passer trois ou quatre jours, et il y reste plus de trois semaines. Le fermier anglais était alors à la mode, comme le républicain américain, dans la plus haute société française, et on n’épargnait aucune coquetterie pour l’amuser et le retenir.

Il est vrai qu’Arthur Young retrouvait à Liancourt toutes les habitudes