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Il serait superflu de faire la biographie de tous ces nouveaux sociétaires. Il n’est cependant pas sans intérêt d’appeler un moment l’attention sur quelques-uns de ceux qui figurent sur cette liste. L’attrait de cette recherche s’accroît par un triste sentiment de la destinée qui les attend. Il y a des générations malheureuses et condamnées d’avance : celle de 1789 est du nombre ; mais, avant de disparaître dans le volcan ouvert tout à coup sous ses pieds, elle a eu le temps de se montrer animée de toutes les idées utiles et de toutes les passions généreuses. On ne peut que l’admirer en la plaignant, car si elle a péché par excès d’ardeur, ne sommes-nous pas devenus un peu trop sages ?

Armand-Joseph de Béthune, duc de Charost, descendant de Sully et digne de cette illustre origine, était un de ces hommes rares qui caractérisent une époque. Vingt ans avant 1789, il avait aboli dans ses domaines les corvées seigneuriales. Possesseur d’une immense fortune en Berri et résidant habituellement au château de Meillant, près Saint-Arnaud, il a rempli tout ce pays de ses bienfaits, et sa mémoire y est encore aujourd’hui en vénération. Lieutenant-général du roi en Picardie, il y avait fondé des prix pour les desséchemens et pour les meilleurs remèdes contre les épizooties. En Bretagne, il avait ouvert des routes et des ateliers de charité. « Vous voyez bien cet homme, disait un jour Louis XV en le montrant à un groupe de courtisans, il vivifie trois de mes provinces. » La mort du duc de Charost a été aussi belle que sa vie. Arrêté à Meillant pendant la terreur, il passa six mois à La Force, et n’en sortit qu’après le 9 thermidor. Cette épreuve ne refroidit pas son zèle, il accepta en 1799 les fonctions de maire du 10e arrondissement de Paris ; en visitant les enfans malades de la petite-vérole dans l’institution des sourds-muets, il gagna la contagion et en mourut. Il repose dans la chapelle du château de Meillant, un des plus charmans monumens de la renaissance[1].

Le duc d’Ayen, capitaine des gardes, était fils du maréchal de Noailles, si renommé sous Louis XV par le tour piquant de son esprit. Le maréchal de Noailles aimait beaucoup le jardinage ; il avait à Saint-Germain un jardin plein d’arbres et de plantes rares. Son fils avait hérité de ses goûts ; il était de plus très savant et membre comme tel de l’Académie des Sciences. Une des filles du duc d’Ayen avait épousé le jeune marquis de La Fayette, qui revenait alors, déjà célèbre, de sa brillante campagne d’Amérique. Le duc de La Rochefoucauld est le même qui fut plus tard député de la noblesse

  1. Le château de Meillant, bâti par le père du fameux cardinal d’Amboise, appartient aujourd’hui à M. le duc de Mortemart, qui l’a fait restaurer.