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s’effectua le 26 juillet, en bateau, car l’inondation durait encore, et de nuit, car on n’en était pas à négliger toute précaution. Un triste incident vint jeter un voile de deuil sur cette nuit de délivrance.


« Le pauvre petit baby, dit M. Edwards, était depuis quelques heures tout à fait épuisé. Sa respiration devenait de plus en plus pénible. Sa mère, dont les soins incessans et l’ingénieuse sollicitude avaient seuls prolongé jusqu’alors sa frêle vie, se procura, non sans difficulté, de l’eau chaude pour un bain qu’elle lui administra, et qui parut le rétablir ; ensuite elle le coucha sur un charpoy et s’étendit auprès de lui. Elle était à bout de forces, n’ayant pas dormi depuis plusieurs nuits qu’elle avait passées à le tenir dans ses bras ; aussi s’endormit-elle immédiatement. J’étais couché moi-même non loin de là, et tout à coup, n’entendant plus cette forte respiration du petit dormeur, je m’approchai du lit pour voir ce qui en était. Pas un mouvement : l’âme innocente s’était envolée. J’éveillai les pauvres parens, qui, dans leur désespoir, trouvèrent encore à se féliciter que l’enfant fût mort selon les lois de nature, et n’eût pas péri de la main des assassins. Nous nous agenouillâmes tous, et auprès du petit cadavre nous priâmes. Ensuite, vers deux heures du matin, j’allai avec Wuzeer-Singh chercher un endroit sec où la fosse pût être creusée. Nous eûmes quelque peine à découvrir un pli de terrain, ombragé de quelques arbres, qui n’était pas inondé, et, selon toute apparence, ne devait jamais l’être. Quand tout fut prêt, le pauvre père prit dans ses bras le petit corps enveloppé d’un linceul, et mistress Probyn suivit, s’appuyant à moi. Il fallut se presser de lire quelques fragmens du service funèbre, car le jour allait naître, et il eût été téméraire à nous de nous montrer en plein soleil hors du village. Aussi nous hâtâmes-nous de coucher l’enfant dans son petit abri, confiant « la poussière à la poussière, les cendres aux cendres, avec un sûr et certain espoir[1]. » Pour moi, je lui enviais presque son immuable repos. »


Ce fut quelques jours après, le 2 août, que les fugitifs virent arriver à l’improviste devant eux, pâle comme un spectre et sans autre vêtement qu’un morceau de drap roulé de sa ceinture à ses genoux, ce même M. Jones dont on a lu plus haut les étranges aventures. Il avait été recueilli, lui aussi, par Hurdeo-Buksh et caché dans un des villages environnans ; mais il avait fallu l’éclatant retour de fortune qui rendait la victoire aux Anglais pour qu’on lui permît de communiquer avec ses compatriotes. Ils n’apprirent qu’alors et par lui que MM. Robertson et Churcher cadet survivaient également, cachés comme eux dans de pauvres villages aheers.

Les prières de cette journée, — c’était un dimanche, et jamais les proscrits anglais n’avaient manqué de célébrer la solennité chrétienne, — furent particulièrement ferventes. M. Edwards déclare dans son journal qu’il y puisa une confiance, une sérénité depuis

  1. Dust to dust, ashes to ashes, in sure and certain hope…, paroles textuelles du service liturgique anglican.