Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/562

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

assignés, pour plus de sûreté, aux malheureux fugitifs. Une partie du bétail fut éloignée pour leur faire place, et on leur promit que dès le lendemain cette espèce d’étable à ciel ouvert leur serait livrée sans partage. En attendant, il fallut essayer de camper et de dormir sur ce fumier, au sein d’une atmosphère viciée, et dans un état d’agitation morale qui ne permettait guère de se livrer au sommeil.


V

Après une chasse aussi acharnée que celle dont il avait été l’objet, M. Edwards dut nécessairement savourer, au moins comme trêve, les cinq jours de repos qui suivirent son installation à Kussowrah. Du 15 au 20 juin, aucune alerte, aucune nouvelle ; mais à l’aurore de cette dernière journée le bruit sinistre du canon réveilla la petite colonie. Moins expérimentés, les deux collecteurs eussent peut-être pris pour une salve d’honneur ces détonations matinales ; mais ils reconnurent à merveille, au son particulier des pièces chargées à boulet, qu’il s’agissait de guerre et non de fête. Effectivement le siège du fort de Futtehghur venait de commencer, et trente-deux Européens enfermés dans son enceinte avec leurs familles s’y défendaient héroïquement contre le 10e et le 41e, maintenant réunis sous les ordres du nawab de Furruckabad.

Il est à peine nécessaire d’avoir traversé les crises de nos discordes civiles pour comprendre les sentimens des réfugiés de Kussowrah pendant les journées qui suivirent. Désespérés de leur impuissance, ils tentaient par toute sorte de moyens d’entraîner le zemindar de Dhurumpore à se prononcer en faveur de la cause anglaise et à faire une diversion en faveur des assiégés. Hurdeo-Buksh n’était qu’un honnête homme et nullement un héros ; il avait d’ailleurs une excellente excuse dans les dispositions de ses vassaux. « Pour nous défendre, répondit-il à MM. Edwards et Probyn, pour repousser une attaque sur Dhurumpore, nul doute que mes gens ne se battissent volontiers ; mais pas un ne passerait le Gange, si je voulais les conduire contre les révoltés de Futtehghur. » Et comme ils sentaient qu’il disait vrai, les deux collecteurs, réduits au silence, n’avaient plus qu’à mettre en commun leur découragement et leurs ardentes prières. De temps en temps, pendant ces pénibles journées, un messager dépêché par eux se risquait du côté de Futtehghur ; il s’en trouva même un assez hardi pour pénétrer jusque dans le fort et rapporter aux deux collecteurs un billet écrit par M. Robert Thornhill, un de leurs collègues. Il les informait qu’attaqués sans relâche depuis quarante-huit heures par les cipayes, auxquels un grand nombre de Pathans s’étaient venus joindre, les assiégés n’avaient