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SCÈNES DE LA VIE DES LANDES.

peu je pourrai revenir à la Grande-Borde vous remercier et vous embrasser. »

Après la signature il y avait un post-scriptum. « Ma femme, disait Pierre, ne parle que le français, et encore ce n’est pas le français de nos messieurs : elle est Allemande. Apprenez le patois à ma fille ; si elle vient me rejoindre sur ma terre d’exil, il me sera doux d’entendre dans sa bouche la langue de mon enfance. »

Jean Cassagne, quand il eut entendu la lecture de cette lettre, jeta un regard plein de tristesse sur la face pâle et défigurée de sa belle-sœur. En pensant à son frère, des larmes lui vinrent aux yeux, mais il les refoula avec énergie, car tous les siens le regardaient. Il prit la petite Marguerite dans ses bras et la remit à sa femme.

— C’est un enfant de plus, dit-il d’un ton presque insouciant. Jean, continua-t-il en s’adressant à son fils aîné, va prévenir le maire et le curé.

On trouva dans le char un paquet assez volumineux, et au milieu des hardes qu’il renfermait un livre de messe sur lequel on lisait quelques indications relatives à la première communion de la malheureuse jeune femme, qui permirent de dresser tant bien que mal l’acte de décès de la belle-sœur de Jean Cassagne. La métayère, qui avait bon cœur, s’éprit d’une vive affection pour la pauvre petite orpheline, qu’on appela Margaride, en donnant à son nom la désinence gasconne. — C’est une petite demoiselle, disait-elle, je veux que Pierre, quand il reviendra, retrouve au moins sa fille heureuse et bien portante.

II.

Pierre ne revint pas. Jean Cassagne pria le propriétaire de la Borde, qui demeurait à Toulouse, et allait souvent à Paris, de prendre des informations sur le sort de Pierre ; mais les recherches faites ne produisirent aucun résultat. Pierre Cassagne était inconnu à Paris, même à la préfecture de police. On savait seulement que quelques individus compromis dans un grand complot, à l’époque de la disparition de Pierre, avaient fait naufrage en se rendant au Texas. Jean Cassagne n’alla pas plus loin. Il accepta sans arrière-pensée l’enfant que la Providence lui avait confié, et il résolut de l’élever comme ses autres enfans ; mais il s’aperçut bientôt que la petite Margaride ne pourrait supporter la fatigue des travaux des champs. Il était impossible en effet de rien voir de plus frêle et de plus délicat que cette petite fille à la peau blanche, aux yeux bleus couleur de pervenche, aux cheveux d’un blond qui tirait sur le blanc. Elle formait un contraste bien tranché avec les enfans du