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Les cavaliers désignés partirent en effet pour la tchseeldaree au secours de laquelle on les envoyait ; mais une fois là, c’est-à-dire à vingt milles de Puttialee, ils pillèrent eux-mêmes le trésor et se dispersèrent aussitôt. Cet incident n’avait rien de fort imprévu.

Avec MM. Phillips, Bramley, Edwards et leurs compagnons, il n’était resté qu’une vingtaine de cavaliers commandés par un ressaldar (capitaine indigène), lequel répondait de leurs bonnes dispositions. Fréquemment interrogé par M. Edwards sur les causes du mécontentement qui avait poussé les cipayes à la révolte, jamais cet officier ne lui parla des « cartouches graissées » ni des craintes ou scrupules inspirés aux soldats anglo-indiens pour le compte de leur religion. Leurs griefs, selon lui, étaient d’un autre ordre. Ils se plaignaient qu’on eût abrégé la durée des congés, qu’on leur fît payer, contrairement à un de leurs anciens privilèges, la légère taxe du passage à gué, lorsque, rentrant chez eux, ils avaient des rivières à traverser, et aussi les frais de séjour dans les serais établis aux frais de l’état. Ils se plaignaient également de ce qu’on les faisait servir trop loin de leurs pays respectifs.

Quelques heures après le départ des cavaliers suspects, un avis anonyme annonçait à M. Phillips que deux cents cipayes se dirigeaient sur Puttialee. D’un autre côté, un messager envoyé, disait-il, par les amis que M. Edwards avait laissés à Budaon venait avertir ce dernier que, cette station étant évacuée par les rebelles, il pouvait y rentrer sans aucun risque. Un appel si direct à sa fermeté officielle le fit hésiter un instant sur le parti qu’il avait à prendre. Il ne fallut rien moins que les remontrances pressantes et les instances réitérées de ses deux collègues pour le confirmer dans sa première résolution. Il ne se doutait pas alors et il apprit seulement plus tard qu’il échappait à un nouveau piège. Le message supposé n’existait pas, et c’étaient les insurgés de Budaon qui le rappelaient ainsi au milieu d’eux, enragés qu’ils étaient d’avoir laissé échapper leur proie.

En partant de Puttialee, — ce qu’ils firent sans plus de retard, — les trois agens anglais n’étaient pas tellement sûrs des soldats de leur escorte qu’ils n’eussent jugé prudent d’y joindre quelques officiers municipaux indigènes [thakoors), dont la présence pouvait à certains égards paralyser les mauvaises dispositions des sowars. Ceux-ci marchaient en avant, les Européens formaient au contraire l’arrière-garde. Les thakoors, placés au centre de la petite colonne, étaient comme interposés, et devaient, sinon défendre les magistrats anglais attaqués par les cavaliers de leur escorte, au moins les prémunir contre un premier choc, une charge à l’improviste. En de telles circonstances, le moindre incident peut prendre des proportions singulièrement exagérées ; il y eut un moment où nos voyageurs se crurent