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patience, et se mirent en révolte ouverte. Il leur eût encore été facile de se saisir du collecteur, qui n’avait pas quitté sa maison ; mais aucun d’eux ne voulait, sans autre intérêt que celui du meurtre, s’éloigner de la trésorerie, promise au pillage. À six heures, d’horribles cris s’élevèrent de ce côté. Les cipayes venaient de briser les portes de la prison, située à une centaine de yards de leur corps de garde, et de mettre en liberté trois cents malfaiteurs qu’elle renfermait. Au même moment, on annonça l’arrivée des insurgés de Bareilly. Tout était décidé, irrévocablement et irrésistiblement fini. Le vaisseau ne « flottait » plus. M. Edwards, quitte envers ses fonctions, ne se devait plus qu’à sa famille et à lui-même. Monté sur un petit poney gris du Kaboul, dont, en des jours plus heureux, il avait fait cadeau à sa femme, et dont les précieuses qualités lui étaient connues, il quitta sans trop de hâte sa résidence, vers laquelle les « libérés » de l’heure précédente accouraient déjà en vociférant. Les deux planteurs d’indigo, MM. Donald, et l’employé des douanes, M. Gibson, s’étaient attachés à sa fortune et le suivaient pas à pas. On ne nous demandera pas si Wuzeer-Singh fut du voyage.


II

On a déjà vu que le 31 mai Mooradabad n’était pas encore soulevée. Par cette ville, située au nord de Budaon, M. Edwards pouvait arriver aux montagnes et rejoindre sa famille. Malheureusement, pour gagner la route de Mooradabad, il fallait traverser Budaon dans toute sa longueur, ou tourner la ville par un long circuit : c’est à ce dernier parti que s’était arrêté notre magistrat fugitif, lorsqu’à cent mètres de sa maison il rencontra un des principaux mahométans du pays, — un riche propriétaire terrien, quelque chose comme un baron féodal, — le cheik ou seigneur de Shikooporah, avec lequel il s’était trouvé en relations assez suivies. Ce puissant personnage, qui parut s’intéresser immédiatement au sort de M. Edwards, le dissuada fortement de s’engager sur des routes peuplées de cipayes insurgés et de criminels arrachés à leurs prisons. Il lui offrit en même temps de le recevoir chez lui, à trois milles de la cité. Cette proposition fut acceptée avec reconnaissance, quoiqu’elle modifiât du tout au tout le plan de voyage d’abord adopté, M. Edwards espérant qu’il pourrait se tenir caché dans le voisinage de la ville, où il rentrerait aussitôt que les rebelles en seraient sortis, pour y reprendre l’exercice de son autorité. Le cheik disposé à lui donner asile déclara, il est vrai, ne vouloir étendre sa protection à aucun des autres fugitifs. Cette première objection ne découragea point les compagnons de M. Edwards ; ils avaient lieu de croire que le cheik se laisserait ramener à des sentimens plus