Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/544

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de propriétés vendues, dans des circonstances rigoureuses, par ordonnance de nos tribunaux civils[1]. »

À midi, après une prière en commun, M. Edwards crut devoir remontrer à ses compagnons de péril que plus tôt ils fuiraient, plus de chances leur seraient acquises. Son devoir le retenait, lui, mais rien ne s’opposait à leur départ ; ils n’avaient à consulter que l’intérêt de leur sûreté personnelle. Argumens, instances, tout fut vain. Profondément terrifiés et comme paralysés par l’effroi, ils refusèrent tous de quitter cette maison protectrice sur laquelle ils appelaient la foudre. La journée s’avançait, toujours plus sombre. Les avis du dehors devenaient de plus en plus sinistres : soulèvemens partiels dans tel ou tel quartier, défection de tel ou tel agent, et les cipayes de Bareilly plus rapprochés d’heure en heure. Vers quatre heures du soir, l’officier indigène commandant la garde du trésor, — une centaine d’hommes, — vient, comme de coutume, faire son rapport. Comme de coutume, il déclare que « tout va bien. » Cette fois M. Edwards le prend à part et le presse de questions. Toujours avec l’accent de la franchise la plus entière, toujours avec les formes du respect le plus vrai, l’officier indigène proteste que la prétendue insurrection de Bareilly lui est, ainsi qu’à ses hommes, tout à fait inconnue. Ils n’ont reçu, ni lui ni eux, aucune communication de ce côté. Il ne croit pas, quant à lui, à ce mouvement insurrectionnel. S’il a quelques craintes, — et telle est aussi l’appréhension de ses soldats, — c’est que la canaille, les budmashes de la ville ne viennent fondre sur eux en tel nombre que toute résistance soit inutile. Pour rendre un peu de cœur aux cipayes, la présence du magistrat serait du meilleur effet… Tout ceci, dit sur le ton de la conviction la plus sincère, déroutait complètement les soupçons de M. Edwards, qui finit par se rendre aux bons avis de son interlocuteur ; en effet, après l’avoir envoyé en avant, il allait monter dans son boghey pour se rendre à la trésorerie, lorsque Wuzeer-Singh, l’honnête et loyal péon, vint dévoiler à temps le piège tendu à la confiance de son maître. Le fait est que les cipayes attendaient bien le magistrat, déjà rangés en bon ordre devant la kutcherry, comme pour une revue ; mais ils s’apprêtaient à le tuer aussitôt qu’il se serait remis en leurs mains. C’était chose convenue depuis le matin avec un messager des révoltés de Bareilly. Après une heure et demie d’inutile attente, ne voyant pas arriver leur victime, ils perdirent

  1. Cet aveu significatif est suivi de phrases encore plus explicites. « C’est au grand nombre de ces ventes pendant les dix ou douze dernières années, c’est aux conséquences de notre système d’impôt qui a ruiné l’aristocratie (gentry) du pays et dissous les communautés villageoises, que j’attribue uniquement la désorganisation de ce district (Budaon) et de ceux qui l’avoisinent, etc. » Personal Adventures, p. 12 et suiv.