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d’artillerie indigène devenait chef militaire du pays, et on choisissait pour rajah un juge retraité de la compagnie, Khan-Bahadour. Ce magistrat, devenu prince, entrait aussitôt en fonctions par un bel et bon procès, intenté selon toutes les formes aux deux juges de Bareilly, MM. Raikes et Robertson, qui furent jugés, condamnés et pendus pour crimes dûment qualifiés, sinon prouvés. Avec eux périt le collecteur, M. Wyatt, auteur d’un livre assez curieux, le Gil Blas hindou. À Shahjehanpore, le même jour qu’à Bareilly, l’insurrection se déclarait, et, surpris pendant le service divin, — -c’était un dimanche, — presque tous les résidens européens furent égorgés. À Mooradabad, bien que fort déconcertés de ne trouver que 2,5001, st. Dans la caisse du gouvernement, les cipayes, qui d’abord avaient voulu attacher à la bouche d’un canon le trésorier si mal en fonds, se laissèrent rappeler qu’ils avaient juré « par les eaux du Gange » de ne pas faire tomber un cheveu de la tête des Européens. Liés par leur redoutable serment, ils se retirèrent avec leur butin, et accordèrent aux résidens deux heures pour quitter la ville. Ceux-ci en profitèrent pour se retirer à Nynee-Tal, où les accompagnèrent quelques poignées de cipayes demeurés « fidèles à leur sel. » Ce dernier épisode se passait le 3 juin 1857.

Rétrogradons de quelques jours et revenons à Budaon, où nous avons laissé M. Edwards aux prises avec les difficultés croissantes d’une administration de moins en moins obéie. Le premier acte des insurgés de Mooradabad avait été, selon la coutume généralement adoptée, de donner la clé des champs aux prisonniers. Or parmi ceux-ci se trouvait un gentilhomme-bandit, nommé Nujjoo-Khan, sous le coup d’un arrêt de déportation perpétuelle pour une tentative de meurtre suivie d’effet sur la personne d’un magistrat adjoint. Après avoir échappé deux années entières aux conséquences de cette condamnation rendue par contumace, ce notable personnage avait pu être appréhendé, grâce à l’active surveillance de M. Edwards, et, à peine libre, il avait juré de se venger. En toute circonstance, les menaces d’un pareil homme pouvaient être comptées pour quelque chose. Au moment où M. Edwards apprit que sa mort était décrétée par un de ces désespérés qui naturellement devaient jouer un des premiers rôles dans la rébellion[1], il put se

  1. Nujjoo-Khan est en effet devenu un des meneurs de la révolte. Il n’a été pris que vers le mois d’avril 1858, par le brigadier Jones, après la réoccupation de Mooradabad.