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sont encore l’honneur de l’école française, mais ils ont cessé d’en être les chefs actifs, les conseillers influens, ou plutôt il n’y a plus d’école, en ce sens qu’il n’y a plus ni empire directement exercé sur des disciples, ni apprentissage progressif sous le regard des maîtres. L’éducation professionnelle se fait vite et un peu au hasard. Les jeunes peintres, il est vrai, fréquentent quelque temps un atelier, sauf à passer bientôt dans un autre où ils n’apporteront pas des dispositions plus dociles, parce que l’occasion les y aura conduits plutôt qu’une ferme confiance dans l’autorité des enseignemens. Ils pourront s’intituler élèves de tel ou tel maître ; mais cette origine toute nominale n’impliquera ni l’idée d’engagemens une fois pris, ni le respect de certains principes. Il suffit d’ouvrir le livret du Salon pour savoir jusqu’où peut aller l’infidélité sur ce point, et quelles étranges anomalies existent entre les allures actuelles d’un talent et les premiers exemples qui lui ont été proposés. D’autres, plus indépendans encore, n’essaieront même pas de demander un semblant de leçons à l’expérience de leurs devanciers. Après quelques essais, quelques efforts poursuivis sans témoin, ils entreront en lice, et prétendront faire acte de peintres avant d’avoir eu le temps d’étudier. De cette direction momentanément acceptée par les uns, ouvertement répudiée par les autres, ou, pour mieux dire, de l’absence de toute vraie direction, résultent l’esprit d’aventure, l’ambition prématurée du succès, le besoin de surprendre l’attention publique en étalant quelque paradoxe pittoresque, cette fécondité enfin dans laquelle on serait autorisé à voir un signe de déchéance intellectuelle plutôt qu’un témoignage de vigueur.

Notre époque, dans le domaine de l’art, est une époque de production exubérante ; mais à quoi bon tant d’activité, tant d’œuvres, tant d’habileté même, si le tout ne doit aboutir qu’au triomphe de l’adresse matérielle, à la gloire de quelques vérités subalternes ? Les talens abondent soit : combien en citera-t-on qui attestent une conviction profonde, une volonté ferme, une foi au-dessus de la mode et des succès passagers ? Les uns se gaspillent en futiles réminiscences du dernier siècle, les autres s’immobilisent dans une prétentieuse imitation de la naïveté primitive ; d’autres encore cherchent à conquérir leur part de notoriété soit en exagérant les laideurs et les misères de la réalité, soit en enjolivant outre mesure les élégances de la vie actuelle. Il semble que l’art contemporain n’ait pour principe que la dextérité, pour fin que la surprise ou l’amusement des yeux, et que, préoccupé uniquement des côtés extérieurs de sa tâche, il ne sache pas s’imposer une fonction morale et un devoir.

Que les artistes y songent pourtant. En acceptant comme leur