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appliqués à formuler. Au lieu de détacher, suivant l’usage actuel, la figure de ses modèles sur un champ de convention, sur ce fond aux formes et à la couleur indéterminées dont M. Flandrin lui-même ne dédaigne pas assez l’emploi, M. Lehmann a cherché à compléter l’expression d’une physionomie personnelle, d’un caractère moral, par l’image de certaines habitudes extérieures et le choix de certains accessoires. De même qu’il avait peint une jeune femme entourée dans son salon d’objets propres à faire pressentir un luxe élégant, il a représenté M. l’abbé Deguerry en chaire, non pas au moment de l’action et du geste oratoire, — cela eût ôté à l’œuvre le calme pittoresque nécessaire et compromis la vraisemblance, sinon choqué le goût, — mais dans une attitude à demi animée qui concilie heureusement les exigences de l’art et les conditions de la vérité. Le mouvement général de la figure, l’expression du visage sont bien saisis, et l’exécution de chaque partie, des mains spécialement, prouve que M. Lehmann sait apercevoir et reproduire la vie sans violence, l’imprévu de la forme sans bizarrerie. Cette habileté à peindre des mains et à les faire concourir à la signification d’un portrait est au reste un mérite qu’on retrouve dans les autres ouvrages de l’artiste. Ainsi, dans le portrait d’une jeune fille vêtue d’une robe noire, la main a une extrême distinction, une souplesse toute particulière. Ajoutons qu’il y avait là, en raison de l’étrangeté de la pose, un problème de dessin et de modelé difficile à résoudre. Peu de peintres eussent osé sans doute aborder un raccourci aussi parfaitement inusité ; il en est peu, en tout cas, qui l’eussent compris et rendu avec autant de finesse.

On peut ranger dans la classe des portraits, et à côté d’ailleurs d’un portrait d’homme signé aussi du nom de Mme Browne, les Sœurs de Charité soignant un enfant malade. Ce qui constitue en effet le mérite de cette toile, c’est bien moins, à nos yeux, l’invention morale ou pittoresque qu’une certaine naïveté dans l’imitation des traits et des costumes de ces deux saintes filles, dont l’une soutient sur ses genoux le petit malade, tandis que l’autre prépare quelque médicament. À vrai dire, il n’y a pas ici de fort sérieuses qualités de peintre. Ordonnance des lignes, modelé, coloris, tout est un peu faible ; mais cette faiblesse même n’est pas dépourvue de charme. Quelque chose de limpide dans le ton, de facile dans le dessin, une apparence de vérité plutôt que l’empreinte de la vérité profonde, voilà ce qui distingue le tableau de Mme Browne et ce qui en explique ou en excuse le succès : succès fort général d’ailleurs, et le plus populaire peut-être qu’il y ait lieu de constater au Salon.

Nous accusions tout à l’heure le goût mondain dans lequel