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et de la précision dans le faire aux travaux de MM. Gustave Boulanger et Bida. Le premier de ces artistes a peint des Pâtres arabes avec un fin sentiment de la forme et de la physionomie, mais aussi avec une tranquillité de pinceau voisine de la froideur ; le second, en étudiant de trop près et trop séparément chaque groupe dans son grand dessin, la Prédication maronite, a donné à l’aspect de la composition quelque chose de pénible et de morcelé. La disproportion entre quelques figures, placées en réalité à peu près au même plan, contribue à fausser l’harmonie de l’ensemble ; il y a là un nouvel indice de cette propension de l’artiste à considérer le détail comme un objet isolé, et non comme un simple élément de la vérité générale. Disons aussi que, même dans la Prière, le meilleur, à notre avis, des récens ouvrages de M. Bida, l’expression, l’intention secrète, sont un peu sacrifiées à l’adresse de la pratique. M. Bida a prouvé ailleurs qu’il savait rendre sous des formes ingénieuses, émouvantes même, les actions et les passions humaines. Il serait fâcheux qu’un talent aussi bien inspiré parfois se réduisît à la traduction de certaines données purement pittoresques. Est-ce assez de copier scrupuleusement des costumes, de formuler pièce à pièce les caractères extérieurs de ses modèles, lorsqu’on est capable d’en exprimer la physionomie intime, et de faire ressortir une pensée, un fait moral de l’image même de la réalité ?

Bien que les diverses Vues d’Égypte qu’a peintes M. Belly et les tableaux de MM. Pasini et Tournemine appartiennent, par la nature des sujets, à la classe des paysages, on peut les rapprocher des toiles de M. Fromentin et des dessins de M. Bida. Ces paysages attestent en effet l’activité et aussi l’habileté d’une fraction assez notable de notre école, de ce groupe d’artistes dont nous parlions tout à l’heure, qui se sont voués à l’étude de la nature orientale. En outre, ces souvenirs des contrées lointaines ont une portée esthétique tout autre que les nombreux portraits reproduisant des sites de notre pays. La majesté des lieux que nous fait visiter le pinceau de M. Belly, l’aspect étrange même de ces plaines de la Perse qui s’étendent à perte de vue dans le Départ pour la Chasse de M. Pasini, tout ici nous repose des gentillesses de style et d’effet trop souvent en usage dans les œuvres de nos paysagistes. Les tableaux de M. Belly et de ses rivaux n’eussent-ils, — et ce n’est point le cas, — d’autre mérite que d’exprimer la grandeur par le choix même des sujets, il faudrait encore en tenir compte comme d’une exception heureuse à la coutume générale, et apprécier l’opportunité de cette protestation implicite contre les aspirations, trop peu ambitieuses à quelques égards, de notre école.

On sait en effet dans quelle humble acception la peinture de paysage