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et dans la ligne, un genre d’habileté particulier, l’agencement correct et facile des formes en mouvement. Personne ne sait mieux que lui séduire le regard par le charme de l’ordonnance pittoresque et caresser l’esprit par une fantaisie discrète jusque dans l’image des faits surnaturels. Depuis le tableau des Willis jusqu’aux sujets allégoriques qu’il a peints sur les murs du vestibule de la cour des comptes et plus récemment dans l’hôtel de M. Péreire, M. Gendron a multiplié les témoignages de cette aptitude spéciale. Le meilleur des trois tableaux qu’il a exposés cette année, et que le livret intitule la Délivrance, en fournit une preuve nouvelle, sans attester pour cela un progrès. Il y a de la grâce sans doute et une délicate expression de tendresse dans la figure de cette jeune fille s’attachant au cou de son libérateur, tandis que celui-ci, sorte de Persée ou de Roger anonyme, à cheval sur un monstre fantastique, laisse flotter les rênes, et répond à cette douce étreinte par un demi-sourire, précurseur du baiser ; mais, malgré plus de fraîcheur dans le ton peut-être, plus de finesse dans l’exécution de certaines parties, il n’y a rien là que les précédens ouvrages de l’artiste n’aient laissé suffisamment deviner. Est-ce assez d’ailleurs que ce talent de procurer à l’imagination un vague plaisir, une sensation fugitive de poésie, au lieu d’informer nettement notre esprit de ce qu’il doit apercevoir et sentir ? Nous ne demandons pas, tant s’en faut, à la peinture de ne représenter que des faits absolument réels, de ne mettre en scène que des personnages ayant une histoire et un nom : nous croyons toutefois qu’il ne lui suffit pas d’exprimer, dans un sens pour ainsi dire musical, les rêves de la pensée, que la peinture doit avoir aussi une signification plus pratique, plus humaine, et que, même dans le domaine de l’idéal, il lui appartient encore de parler à la raison. M. Gendron se contente trop souvent d’effleurer en quelque sorte les surfaces de notre intelligence ; il a, lui aussi, quelque chose de ce sentiment moderne qui tendrait presque à déconsidérer le beau pour y substituer le joli. Si les intentions de son pinceau sont toujours ingénieuses et élégantes, elles semblent s’évaporer parfois dans le vague de cette élégance même et de ce charme un peu indéfini.

Moins expérimenté que M. Cabanel, moins bien doué que M. Gendron, M. de Curzon a de commun avec ces deux artistes la distinction originelle et l’ambition du bien ; seulement cette ambition, assez inconstante dans la forme, se traduit ou plutôt se dissipe en tentatives de toute espèce. Mythologie, scènes de mœurs, paysages, M. de Gurzon aborde tous les sujets, et il les traite, sinon avec un plein succès, au moins avec une délicate habileté. Sa manière ne manque ni de grâce ni de finesse, mais cette grâce est parfois bien près de dégénérer en mignardise ou en faiblesse, principalement