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est un tableau intéressant, en ce sens qu’il nous initie à certains secrets des mœurs gréco-asiatiques, qu’il nous ouvre la chambre à coucher d’un Héraclide, telle qu’elle a pu être décorée et meublée sept cents ans avant l’ère chrétienne ; mais un mérite de ce genre participe moins directement de l’art personnel que de l’érudition, des formes de l’instinct pittoresque que de la dissertation scientifique.

Le troisième tableau de M. Gérôme, Ave, Cæsar imperator, morituri te salutant, n’a pas une valeur d’un autre ordre. Jamais sans doute la peinture n’avait reproduit avec une sincérité aussi positive les armures et les ajustemens bizarres des gladiateurs ; jamais la disposition intérieure du cirque, les ornemens du velarium, les places réservées aux différentes classes de spectateurs n’avaient été aussi scrupuleusement restitués. Nos yeux ne connaissaient pas encore ces vans où l’on puisait du sable pour étancher le sang répandu dans l’arène, ces longs crochets avec lesquels on happait les cadavres pour les entraîner hors du cirque ; mais nous avions vu ailleurs, et dans les œuvres de M. Gérôme lui-même, des morceaux mieux dessinés que le bras nu de Vitellius, des figures modelées et coloriées avec plus de souplesse que le groupe des gladiateurs. À force de transcrire textuellement les documens antiques, le pinceau de M. Gérôme immobilise et nie en quelque sorte, dans l’image du corps humain, les accidens de la ligne et du ton. Il donne littéralement aux chairs l’apparence métallique des monumens qu’il a consultés, et l’expression naturelle se trouve ainsi sacrifiée à la recherche exagérée du style. Le peintre de César, du Roi Candaule et des Gladiateurs est un artiste trop distingué, il a souvent fait preuve d’un talent trop réel pour qu’on puisse voir sans de vifs regrets ce talent se dépenser en efforts secondaires, en tentatives de plus en plus étrangères aux vraies conditions de la peinture. Nous ne prétendons nullement prescrire à M. Gérôme l’abandon des sujets qu’il a préférés jusqu’ici ; nous lui demandons seulement de se corriger, dans une certaine mesure, de ses habitudes archéologiques, et, même en traitant des sujets antiques, de se souvenir davantage des qualités qui assurent à sa Sortie du Bal masqué une portée pittoresque plus grande, une originalité plus sérieuse que n’en ont les œuvres qu’il produit aujourd’hui.

Les recherches érudites dans lesquelles M. Gérôme nous paraît compromettre l’avenir de son talent ne sont pas, tant s’en faut, ce qui préoccupe M. Hébert. Il semble au contraire que le peintre de la Mal’aria se soit fait une loi absolue de ne transporter sur la toile que des scènes actuelles, des types qu’il aurait habituellement sous les yeux. Une seule fois, il s’est départi de cette règle en peignant, il y a quelques années, son Baiser de Judas. Encore l’exécution de ce tableau, très recommandable d’ailleurs, trahissait-elle des intentions