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ment. Sans doute le mot aurait pu ne pas être prononcé, mais il est dans la logique et dans la raison ; il a pu surprendre peut-être quelques auditeurs, mais ceux dont il a brisé les oreilles ignorent sans doute que, dans la littérature comme dans la vie réelle, la passion et le dévouement sont au-dessus de tous les intérêts humains. Et d’ailleurs on peut être indulgent, car dans les œuvres d’imagination même il est aujourd’hui si rarement permis au cœur de ne pas calculer ses inspirations!

Certes voilà toute la pièce de M. Mario Uchard, voilà du moins les traits qui intéressent et qui frappent; j’ai passé sous silence les scènes intermédiaires, molles, vides, inutiles. J’ai cité les personnages indispensables à l’action, mais j’ai omis tout autant de masques épisodiques, de comparses inintelligens, que l’éducation dramatique de M. Uchard lui fait admettre et regarder comme nécessaires, parce qu’il cherche à satisfaire le goût du public; pour toute espèce d’intermèdes, parce qu’il croit le succès d’une pièce impossible, si elle n’est égayée par la présence d’une figure comique ou bizarre. Kt même des personnages sérieux, aucun n’est véritablement individuel. Sauf M. de Lirmay, dont le propre est précisément de représenter un caractère faible et indécis, tous les autres n’ont rien qui les distingue, et ne doivent un peu d’originalité qu’aux artistes qui les interprètent. Il n’y aurait pas même besoin de les désigner par leur nom, des appellations abstraites suffiraient : c’est la mère, c’est le gendre, c’est la fille séduite, c’est l’amant. Le mérite de la Seconde Jeunesse est dans la manière dont le drame est posé et dans l’agencement des scènes principales; il est aussi dans le sujet, qui nous transporte hors du monde interlope et des intérêts matériels, dans le domaine de l’analyse et de la passion. La composition est bonne, l’œuvre nous intéresse et nous émeut : que lui manque-t-il donc pour être une véritable comédie? Le style, et cela seulement, car c’est par le style que les personnages indécis de l’ébauche se limitent, se définissent et deviennent des caractères.

A l’Odéon, la pièce de MM. A. Rolland et Ch. Bataille, un Usurier de Village, est un pur mélodrame, et encore un mélodrame en sabots et en haillons. J’ignore quel intérêt peut s’attacher à des horreurs d’aussi bas étage. Il est possible qu’elles existent dans la réalité; est-ce toutefois une raison suffisante pour les reproduire dans une œuvre d’art? Acceptons-les un moment, et voilà que la manière dont elles sont présentées nous les fait immédiatement repousser. Je cherche vainement dans ce milieu rustique quelque chose de naturel et de simple; il est des crimes grossiers qui ont eux-mêmes, je le suppose, une certaine naïveté. L’action ici est au contraire portée sur des combinaisons violentes qui se dénouent par les moyens les plus vulgaires. Mais que dire des personnages? Sont-ce des paysans? N’est-ce pas plutôt de vieilles marionnettes oubliées dans la boîte du romantisme, et dont on a voulu faire passer les manteaux et les pourpoints râpés pour des haillons de bon aloi? Il y a néanmoins dans ce mélodrame une figure intéressante et bien étudiée, celle de l’usurier; encore les Machiavels de village sont-ils autrement habiles! — Il faut assister quelquefois à de pareils spectacles pour apprécier d’une manière convenable (l’esprit se pervertit si aisément!) la vérité, la raison et la mesure. Voici Marguerite de Sainte--