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esprits sérieux toujours en garde contre les conjectures hasardées. Enfin cet essai de paléontologie linguistique n’a point pour but d’exposer un système sorti tout d’une pièce du cerveau de l’auteur. Il nous semble que M. A. Pictet s’est dit : Il est temps de rattacher à un plan général les découvertes que les savans d’Europe, ceux d’Allemagne surtout, ont faites en tous sens dans le domaine de la philologie. Les mots sans nombre appartenant aux langues de l’Inde, de la Perse, et à toutes celles de l’Europe ancienne et moderne qui offrent entre eux des rapports certains, attestent entre les peuples qui les parlent une origine commune : faisons comme le mineur qui, après avoir remarqué des parcelles d’or dans tous les cours d’eau d’une même vallée, remonte pour trouver le pur filon du précieux métal jusqu’au sommet de la montagne perdu dans les nuages.

M. A. Pictet remonte en effet jusque dans la nuit des temps; mais si la vue vient à lui faire défaut, ii touche du doigt les radicaux, qu’il explique, et il rend sensible à tout lecteur attentif la transformation qu’a subie dans ses longs voyages un petit mot, symbole d’une grande idée. Prenez un radical qui commence par une consonne d’une prononciation équivoque, un h par exemple, et vous verrez ce mot, courant à travers le monde, éprouver tant de vicissitudes qu’à chaque nouvelle étape on croit qu’il a péri. Il n’en est rien ; chaque peuple l’a marqué du sceau de son accentuation plus ou moins rude, mais il vit toujours. Ainsi l’hindou appelle l’hiver, la gelée, hima ; l’ancien perse disait zima, dont le perse moderne a fait zam, zamistân, hiver, et zimistâni, hivernal ; le boukhare, le kourde, l’afghan et l’ossète ont gardé ce mot à peu près intact sous la forme de zimestân, zerestân, zemel, zimag. Les Grecs, qui se rapprochent volontiers de la prononciation iranienne, ont appuyé sur le z persan; ils ont dit χεῖμα, tandis que les Latins sont demeurés plus près du sanscrit dans hiems, qu’il est impossible de ne pas reconnaître pour un dérivé de hima. Dans les langues celtiques, c’est le g qui remplace l’h; les gutturales devaient avoir un rôle marqué chez ces peuples un peu rudes, dont le bruit de la mer battant les rochers rendait l’ouïe moins délicate. Maintenant retournons au centre de l’Europe septentrionale pour redescendre ensuite vers la Méditerranée, nous retrouvons dans le lithuanien, le bohème et l’illyrien la prononciation zem, zema, zima et sima. Les langues germaniques, on a pu le remarquer, n’apportent point leur contingent de dérivés au radical aryen hima ; mais hima exprime plutôt l’idée de neige éclatante et brillant aux rayons du soleil sur les pics des montagnes que celle d’un froid rigoureux et qui glace. Or le sanscrit possède un radical stérile à la vérité et sans dérivé, crind, frigidum esse, d’où l’on peut tirer vint-rus, vet-r, wint-er, qui sont les noms de l’hiver dans le gothique, le scandinave, l’anglo-saxon, etc. Ainsi se retrouveraient vivans et bien conservés dans certains idiomes de l’Europe des radicaux aryens usés dans les langues aryennes de l’Asie, et morts depuis plus de trente siècles! Pourquoi le mot que nous venons de citer a-t-il cessé de produire des dérivés en sanscrit? Peut-être parce que les Aryens de l’Inde, en s’éloignant des régions septentrionales, ont perdu peu à peu la sensation du froid rigoureux, de l’hiver long, pénible, que ne leur rappelait guère l’aspect lointain des blancs sommets de l’Himalaya.

En étudiant de plus près ces petits, mots qui ont disparu ici pour repa-