Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/496

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nons de parler sont le sanscrit et le zend. La première, qui ne se parle plus, s’écrit encore, et dans ce sens on peut dire qu’elle vit toujours. Il n’en est pas de même du zend, la langue des anciens Parses, dont la reconstruction, véritable conquête philologique, n’a pu s’opérer que par une série de travaux dus à des critiques européens. Commencée par Anquetil du Perron avec un zèle admirable, cette entreprise fut poursuivie avec un rare succès par M. Eugène Burnouf, qui sut y apporter la sagacité et la sûreté de coup d’œil dont ses beaux et importans travaux offrent tant d’exemples. Une fois admis le lien de parenté qui unit le sanscrit au zend, la langue des mages à celle des brahmanes, on a été conduit à cette conclusion, qu’il a existé une langue-mère primitive, et par conséquent aussi un peuple, de pure race aryenne, qui la parlait. Dans la première partie de son vaste travail, M. A. Pictet ne s’occupe que de rechercher cette langue antique, et pour la recomposer, il compare entre eux toute une classe de mots appartenant au sanscrit, au zend, au persan moderne, au grec, au latin, et aux idiomes germaniques, celtiques, etc., qui peuvent se rapporter au même radical. A cet appel fait aux langues de tant de nations obscures et illustres, anciennes et modernes, qui ont vécu ou vivent encore dans l’espace immense compris entre l’Himalaya et l’Armorique, les glaces de la Scandinavie et l’Océan-Indien, le Golfe-Persique et la Méditerranée, on voit paraître des mots évidemment nés de la même racine, et qui portent tous les caractères d’une incontestable fraternité. En lisant le résultat de ces patientes investigations, qui nous ramènent tous à une origine asiatique et nous classent nous-mêmes dans la grande famille aryenne, on se sent pris de respect pour les vieux idiomes de l’Europe à peine connus, et dont chaque année enlève quelque débris. Ce sont eux qui conservent les plus précieux témoignages de cette antiquité vénérable dont nous pourrions nous vanter aussi bien que les brahmanes, si nous ne trouvions dans la civilisation moderne des titres plus glorieux a« respect des nations asiatiques. Mais, ne l’oublions pas, c’est l’existence d’un peuple pré-historique, d’un peuple aryen pur de tout mélange, inconnu à la tradition, mais révélé par la science philologique, que M. A. Pictet se propose d’étudier et d’évoquer même, en comparant avec soin les langues indo-européennes. Pour donner une idée nette de ce travail de reconstruction entrepris sur une si large échelle, il n’a pas craint de nommer son ouvrage un Essai de Paléontologie linguistique.

Certes voilà un titre peu attrayant et mieux fait pour éloigner les lecteurs que pour les séduire. Il s’agit donc de prendre un radical fossile et de recomposer à l’aide de ce fragment un mot qui peut-être n’est plus en usage! À cette question, l’auteur répond sans se troubler : «...Les mots durent autant que les os, et de même qu’une dent renferme implicitement une partie de l’histoire d’un animal, un mot isolé peut mettre sur la voie de toute la série d’idées qui s’y rattachaient lors de sa formation.» Cette affirmation est de celles qui surprennent tout d’abord et éveillent la défiance du lecteur. Cependant nous croyons devoir le rassurer pour plusieurs raisons : d’abord l’ouvrage que l’auteur offre maintenant au public est le résultat d’études persévérantes qui l’ont occupé pendant bien des années. En second lieu, M. A. Pictet développe avec clarté la méthode qu’il a suivie dans la comparaison des radicaux et des dérivés, méthode prudente et qui convient aux