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d’une mer agitée, depuis le Caucase jusqu’à travers les Gaules. Ils sortaient d’une région froide et cherchaient le soleil; mais le nom que portait cette patrie lointaine, ils l’avaient oublié pendant un long voyage qui avait duré des siècles. De leur côté, les peuples établis dans la Perse, et ceux qui s’étaient répandus dans l’espace compris entre l’Himalaya et l’Indus, ne se rappelaient plus leur commune origine. Les premiers croyaient être nés dans l’Iran, où leur civilisation s’était développée sans effort; les seconds, ayant voyagé plus longtemps et rencontré plus d’obstacles en chemin, avaient gardé un vague souvenir de leur ancienne patrie. Aux heures de découragement et d’épreuve, la terre inhospitalière dont ils s’étaient éloignés sans regret, et qu’ils fuyaient toujours, leur apparaissait comme une terre sacrée vers laquelle ils se reportaient avec respect et attendrissement. Environnés de peuplades sauvages, au teint noir, dont ils redoutaient les attaques, les Aryens de l’Inde, pour s’encourager dans leur entreprise, invoquaient les dieux de leurs ancêtres, et offraient des libations aux divinités tutélaires selon les rites traditionnels. Dans les jours de triomphe et de prospérité, le pays des aïeux demeurait encore pour ces mêmes peuples celui des hommes forts et respectables, à la tête desquels ils plaçaient les patriarches, les chefs de tribus, sortes de demi-dieux qui avaient vécu dans l’âge d’or. Les émigrans aryens, isolés au milieu de régions inconnues où tout était nouveau pour eux, où tout dans la nature, excepté l’homme, paraissait magnifique et grandiose, se considéraient eux-mêmes comme une race privilégiée, supérieure aux races autochthones, et destinée à imposer à celles-ci sa langue, ses mœurs et ses croyances. Lorsque ces mêmes Aryens, descendus des froids plateaux de l’Asie centrale, et marchant toujours depuis des siècles, se furent choisi sous les plus chaudes latitudes une nouvelle patrie, le souvenir de l’autre s’effaça peu à peu de leur esprit. Leurs livres sacrés en gardèrent la mention, ou plutôt on reconnut, en étudiant ces textes anciens, que les Hindous avaient dû vivre sous des climats plus sévères; mais quelle route ils avaient suivie dans leur migration, quel avait été leur point de départ, eux-mêmes ne le savaient plus. Toutefois ces Aryens de l’Inde, qui ne montraient nul souci de la science historique, conservaient une langue antique, et cette langue devait servir à éclairer en partie les questions ethnographiques les plus importantes et les plus dignes d’intérêt.

Pour que l’Europe arrivât à percer les mystères de sa propre origine, il a fallu que les rameaux de la grande famille aryenne se fussent étendus sur tout l’ancien monde; il a fallu aussi que les derniers civilisés d’entre ces peuples sortis de l’Asie devinssent les premiers dans la science. Enfin il a été nécessaire que l’érudition, remontant au-delà de l’antiquité grecque, osât interroger les monumens primitifs, ceux-là mêmes dont il ne reste que des débris. C’est ainsi que le temps a fini par dissiper les nuages qui s’étaient accumulés durant tant de siècles. Au moment où tous les peuples civilisés tendent à se rapprocher, au moment où les plus arriérés et les plus récalcitrans sont contraints, bon gré, mal gré, d’entrer en communication avec le reste du monde, la science philologique découvre et affirme que la plupart des préjugés de races portent à faux. Elle fait toucher du doigt les liens de parenté qui unissent tant de nations voisines ou éloignées les unes des autres. Il est dit dans l’Évangile : « Les derniers seront les premiers. »