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sévérante des maux de la guerre qui a rempli la fin du dernier siècle et le commencement du nôtre. Les Anglais n’ont travaillé depuis lors qu’à ceci : d’abord payer moins de taxes ou mieux répartir les impôts qui alimentent leurs revenus, ensuite par ces réformes financières agrandir leur prospérité commerciale et industrielle, puis encore, au moyen des progrès industriels combinés avec les réformes fiscales, améliorer la condition matérielle et morale des ouvriers, répandre l’instruction et l’aisance dans le peuple, enfin appeler progressivement à la vie politique les classes populaires, ainsi élevées par les travaux et les conquêtes de la paix. Dans cette carrière, tous les obstacles contre lesquels ils ont eu à lutter, la nécessité des gros budgets, le service d’une dette énorme et les impôts, étaient le legs de la guerre. C’est par cette lutte morale contre les résultats de la guerre qu’ils ont appris à la détester dans le passé et à la redouter surtout pour l’avenir. Les intérêts permanens de leur politique maladroitement attaqués ou leur honneur national gratuitement offensé pourraient seuls leur faire accepter une guerre nouvelle, qu’ils pousseraient sans doute avec d’autant plus d’acharnement qu’ils auraient eu plus de répugnance à surmonter pour s’y résoudre. Nous avons donc confiance dans la sincérité de la neutralité anglaise. Nous venons de voir quelle est la nature des périls qui menaceraient cette neutralité précieuse par l’alerte qu’a donnée à l’Angleterre la nouvelle, depuis démentie, de l’existence d’un double traité conclu entre la France et la Russie. Nos pires ennemis ne pouvaient pas produire une invention qui dût nous être plus funeste dans l’opinion anglaise. Sans doute les explications officielles ont effacé ou atténué l’assertion inexacte qui avait annoncé au monde l’existence d’une alliance franco-russe ; l’impression n’est point cependant encore entièrement détruite dans l’esprit de certains Anglais, et nous devons nous attendre à voir la défiance éveillée à ce sujet trouver des organes dans les premières discussions du prochain parlement.

La neutralité de la Prusse a été exposée et justifiée avec une droiture et une franchise auxquelles nous ne pouvons qu’applaudir dans les explications présentées au parlement prussien par M. de Schleinitz, et dans le rapport de la commission chargée d’examiner les propositions financières et militaires du gouvernement. La Prusse reconnaît que la neutralité convient à son rôle de grande puissance, et qu’elle n’est point tenue, par ses devoirs envers la confédération, de défendre la domination de l’Autriche en Italie. Cette modération sensée de la Prusse n’a point réussi encore malheureusement à calmer l’effervescence qui règne depuis plusieurs mois dans les états secondaires du midi de l’Allemagne. L’incident politique que nous annonce le télégraphe, la retraite du ministre des affaires étrangères d’Autriche, M. de Buol, se liera-t-il à quelque modification dans l’attitude de la confédération ? il nous est impossible d’apprécier encore la portée de cet événement imprévu, l’on avait dit que M. de Buol ne s’était prêté qu’avec répugnance aux volontés de l’empereur qui ont précipité la guerre ? M. de Buol se retire-t-il comme trop peu docile aux inspirations d’une politique belliqueuse ? On sait aussi que depuis longtemps cet homme d’état est odieux au cabinet de Pétersbourg. L’empereur le sacrifie-t-il, et offre-t-il comme un gage à la neutralité russe la démission du ministre qui avait associé l’Autriche à la politique des puissances occidentales pendant la guerre d’Orient ?