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nous devons ramener d’abord nos réflexions sur les conditions pratiques de la réussite de la guerre de l’indépendance italienne soutenue par la France. Qu’avons-nous à redouter, et que devons-nous souhaiter dans la conduite de cette guerre ? Parlons d’abord de ce que nous avons à craindre.

Nous avons à craindre tout ce qui agrandirait le théâtre de la guerre, tout ce qui en compliquerait la nature et en changerait le caractère. Bien des faits en Europe, et même en Italie, pourraient produire ce résultat. Il dépend en grande partie de la politique du gouvernement français de prévenir ce que nous appellerons les déviations européennes et les déviations italiennes. Les premières en effet pourraient être le résultat des ombrages que nous donnerions aux puissances neutres, nous ne disons pas seulement en dépassant le cercle du champ de bataille italien, mais en affectant et en affichant certaines alliances qui pourraient inspirer quelques appréhensions sur nos projets ultérieurs. Elles proviendraient encore de faits qui éclateraient à l’occasion de la guerre en dehors de l’Italie, qui soulèveraient des questions européennes égales ou supérieures à la question italienne, et qui mettraient directement en jeu les intérêts des puissances neutres. Ces deux sortes de péril à éviter, à prévenir, à conjurer, sont en première ligne l’affectation de l’alliance russe et les complications en Orient. L’Allemagne et l’Angleterre, il n’y a pas à en douter, auraient bientôt pris part au conflit, si à l’occasion de la guerre d’Italie, et sous le couvert d’une entente peu dissimulée entre la Russie et la France, l’Orient éclatait. Alors la question italienne cesserait d’occuper le premier plan. Ce ne serait plus une seule nationalité, ce seraient toutes les nationalités qui seraient en l’air. Ce serait l’anarchie politique dans la guerre. Les intérêts réguliers et organisés, souvent supérieurs aux intérêts de certaines nationalités, non-seulement par leur force, mais par les considérations morales qui président à la marche de la civilisation, s’uniraient et s’élèveraient contre cette anarchie. En avant, en arrière, à côté de nous, nous aurions à faire face, pour d’autres querelles, à d’autres ennemis. Que deviendrait alors l’Italie dans nus préoccupations ? Dans une guerre générale et nécessairement prolongée, les considérations stratégiques priment toutes les autres. Au nom de notre propre conservation, nous serions contraints de renoncer provisoirement aux idées désintéressées qui nous conduisent maintenant en Italie : nous serions obligés d’y détenir des positions, des gages, des avant-postes contre nos ennemis. Que serait-ce encore, si les déviations italiennes ; s’ajoutaient aux déviations européennes, si le grand intérêt catholique dont Rome est le siège était atteint par l’ébranlement universel, et si, sans parler des scrupules des catholiques français, nous nous attirions involontairement, mais par une fatalité que nous ne pourrions maîtriser, la malveillance des catholiques du monde entier ? Ne nous le dissimulons pas : pour éviter de tels dangers, il faut les avoir constamment devant les yeux ; pour les conjurer, les bonnes intentions ne suffisent pas : il faut une adresse infinie et un rare bonheur. Ne croyons pas que nous aurons tout sauvé en proclamant sincèrement que nous n’entendons pas retomber dans les erremens du premier empire. Il y a eu dans les entreprises de Napoléon moins de caprice et d’arbitraire que le vulgaire ne l’imagine : c’était le point de départ qui était quelquefois ro-