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tiplie, au lieu de les amoindrir, en les partageant. — Il est bon d’ajouter que l’imagination de Paolino ainsi que son enthousiasme étaient presque entièrement engagés au service de la patrie, et que tout autre objet, sans même excepter Rachel, le laissait comparativement froid. Le cœur était aussi fidèle que tendre et vrai; mais on ne sait pas assez combien les affections du cœur, même les plus pures et les plus saintes, peuvent paraître froides et mesquines lorsqu’elles n’empruntent aucune des brillantes couleurs de l’imagination.

Tous les sentimens, toutes les craintes qui agitaient Paolino se trahirent dans le cours de son entretien avec Rachel. Accoutumée à des attentions incessantes, à des discours passionnés, la jeune fille fut douloureusement surprise de ce changement. Elle avait cru reconnaître dans l’adoration dont elle se voyait l’objet l’une de ces passions effrénées dont elle avait lu quelque chose dans certains romans du début de ce siècle. Trop fière et trop timide à la fois pour se plaindre, elle cacha son désespoir sous un air d’indifférence et de dignité auquel Paolino ne se laissa prendre qu’à demi. Il vit qu’elle était blessée, mais sans se rendre compte de la profondeur de la blessure, et, se sentant en paix avec sa propre conscience en ce qui concernait Rachel, il se dit que ce moment d’humeur se dissiperait sans laisser de traces. Il continua de se montrer pour elle tendre et bon; il prit même parfois, et à son insu sans doute, un air de paternelle indulgence qui mit à de rudes épreuves la patience de la pauvre enfant. Leurs cœurs pourtant n’étaient pas changés, et il est probable qu’après un temps d’orage plus ou moins long, ils fussent revenus l’un à l’autre et eussent recommencé à s’entendre parfaitement; mais le séjour de Paolino à la ferme était accompagné de mille dangers et pour lui et pour les siens. La nouvelle de perquisitions faites dans un village voisin à la recherche d’un déserteur redoubla les craintes de tous, et hâta le départ du proscrit. La signora Stella, d’abord si confiante et si rassurée, avait perdu le sommeil, et son visage exprimait à toute heure une inquiétude si vive, qu’il était impossible de l’aborder sans lui demander ce qui la troublait ainsi, question qui redoublait encore l’effroi de la pauvre femme.

Une telle situation ne pouvait durer : la frontière piémontaise n’était qu’à trois heures de distance de la ferme, et ce trajet pouvait être fait en voiture. Il faudrait franchir à pied le court espace qui sépare le poste autrichien du poste piémontais, ou, pour mieux dire, quitter la grande route avant d’atteindre le premier des deux; mais pour un campagnard accoutumé aux longues courses dans les champs et à la chasse dans les marais, une promenade d’une heure