Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/467

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fait de son domestique, il devait répondre qu’il l’avait chassé pour s’être enivré, et sans savoir ce qu’il était devenu. Toit ayant été arrêté ainsi, Filippo prit congé de ses parens, qui le virent partir avec une douleur qu’ils essayèrent vainement de dissimuler.

Quoique privé des conseils d’un médecin, Paolino fut bientôt guéri de sa blessure. Les soins ne lui manquaient pas. Rachel, qui avait toujours vécu un peu à l’écart du reste de la famille, et qui n’avait jamais pris une part fort active aux travaux du ménage ni à ceux de la ferme, pouvait disparaître plus aisément que sa sœur et ses cousines sans exciter d’étonnement. Aussi passait-elle une grande partie de ses journées dans la cachette occupée par le jeune homme, tandis que les serviteurs la croyaient enfermée dans la grande chambre qui était devenue la sienne. La signora Stella consacrait ses soirées et ses nuits à son cher blessé, mais elle n’osait le visiter pendant le jour qu’à la dérobée et pour de courts instans. Le fermier demeurait aussi une partie des nuits auprès de son fils, et consentait seulement à prendre quelques heures de repos vers le matin. Les frères et les sœurs de Paolo ainsi que la sœur de Rachel allaient et venaient sans cesse de la cachette aux autres parties de la maison. Quant à Pietro, tout en visitant son frère aussi souvent que les autres membres de la famille, jamais il n’interrompait les tête-à-tête des deux amans. Paolino et Rachel ne remarquèrent pas cette réserve, ou, s’ils la remarquèrent, ils en firent honneur au hasard et à leur étoile. Profitèrent-ils au moins de tant de liberté? Pas précisément. Rachel était découragée, et Paolino impatient. Rachel craignait de lui être importune en l’entretenant constamment d’un amour dont il ne se montrait guère en peine; mais elle ne pensait pas à autre chose, et ce désaccord entre ses paroles et ses pensées lui donnait un air contraint qui déplaisait à Paolino. — Comme elle est changée! se disait-il parfois. Comme elle est indifférente aux malheurs de la patrie! Elle jadis si enthousiaste, elle qui animait mon ardeur et me reprochait ma modération, qu’elle appelait du nom de tiédeur! Ma tiédeur est de la flamme auprès de sa glace ! — Et tandis que Paolino la condamnait ainsi, Rachel se disait de son côté : Avec quelle facilité il oublie que mon sort est attaché au sien! Son silence n’est-il pas une muette déclaration du changement survenu dans son cœur, et ne s’étonne-t-il pas en secret de ma lenteur à le comprendre? — Cette pensée s’empara si fortement de la pauvre Rachel qu’elle finit par se sentir incapable de la cacher, et qu’elle se décida à obtenir de Paolino une explication formelle. Rien pourtant n’est plus difficile que de provoquer une explication qu’on craint de recevoir, et Rachel ne connaissait pas d’artifice. Elle essaya maintes fois d’articuler cette simple question : «Paolo, m’aimes-tu