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— Non, mon père; ils vivent et sont en bonne santé. Paolino est légèrement blessé, mais ce n’est rien, et quelques jours de repos le rétabliront.

— Du repos? Où peuvent-ils en trouver? où sont-ils?

— Ici près, mon père.

Le vieillard fut pris d’un frisson plus violent, et Pietro poursuivit en lui prenant respectueusement le bras : — Du courage, mon père. C’est à présent que nous allons avoir besoin de toute votre énergie, de toute votre sagesse. Paolino et Filippo doivent demeurer cachés. J’irai demain à Milan voir comment vont les choses, et d’après les nouvelles que j’en rapporterai, vous jugerez s’il est nécessaire ou non que Filippo passe la frontière. Quant à Paolino, il a besoin de repos et de soins. Il nous faudra le cacher dans la ferme et l’y garder pendant quelques jours. Comment faire?

Le vieillard ne l’écoutait plus : il ne voyait que ses fils proscrits, l’un d’eux blessé, sanglant, poursuivi par les gendarmes, saisi, exécuté sous ses yeux. — Oh! mon enfant! mon enfant! s’écria-t-il enfin en levant vers le ciel ses mains tremblantes et son visage couvert de larmes. Qui m’eût dit, lorsque la vieille Anna vint te placer dans mes bras au moment de ta naissance, lorsque je te vis si faible et si chétif et que je priai Dieu de te donner ce qu’il avait donné à tes frères, les forces et le cœur d’un homme, qui m’eût dit que ce jour viendrait? Ce que je demandais à Dieu pour toi, c’était la santé, et toujours la santé. C’était là, me disais-je dans ma folie, tout ce qui pouvait te manquer! Dieu m’a puni de ne pas avoir accepté de ses mains ta faiblesse comme tout autre de ses dons. J’ai manqué de soumission, et c’est pourquoi Dieu me punit.

Pietro ramena adroitement l’esprit du vieillard aux nécessités du moment. Ils convinrent ensemble de l’heure et de l’endroit précis où l’on irait chercher les deux fugitifs, de la chambre où l’on enfermerait Paolino, des moyens de se procurer les objets indispensables au traitement de sa blessure, des explications à donner aux domestiques. Il fallut ensuite avertir la famille, et c’est le vieillard qui se chargea de ce soin. Tous ces hommes au cœur chrétien comprirent aisément quels devoirs nouveaux leur étaient imposés, et se préparèrent à les remplir.

Rachel pourtant, guidée par son cœur et par le fidèle Lampo, avait découvert sans peine la retraite de ses cousins, et leur avait apporté de quoi soutenir leurs forces pendant la journée. Elle se fût précipitée volontiers dans les bras de Paolino; mais la présence de Filippo, la réserve de Paolino lui-même la retinrent. Les malheurs de son pays, ses propres souffrances et ses propres dangers, le soupçon vague d’une trahison qu’on ne savait à qui imputer et