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on l’aiderait à atteindre la frontière sarde. Pietro promit en outre d’envoyer Rachel aux proscrits avec des provisions pour le restant du jour; puis, ayant encore embrassé ses frères et après les avoir recommandés à la protection divine, il reprit le chemin de la ferme, le cœur rempli d’émotions diverses, où ne se faisait jour aucun sentiment égoïste.

Il n’eut pas de peine à trouver Rachel, qui se tenait d’ordinaire dans la grande chambre inhabitée, pour y pleurer et y rêver en liberté. — J’ai de grandes nouvelles à t’apprendre, lui dit-il à voix basse en y entrant; mais rassure-toi : ce sont plutôt de bonnes que de mauvaises nouvelles, et surtout j’ai à te charger d’une commission. Mes deux pauvres frères...

— Paolo ! s’écria Rachel, devenue aussitôt plus pâle qu’une morte.

— Paolo et Filippo sont ici, reprit Pietro, frappé non-seulement de sa pâleur, mais du mouvement qui avait amené sur les lèvres de sa cousine un seul nom.

Rachel se leva en sursaut et fit un bond vers la porte, en criant : — Où est-il?

— Tous deux sont cachés dans le fond du fossé, près de la ruine. Ils sont fugitifs, poursuivis, obligés de se cacher pour sauver leur vie, et Paolino est de plus légèrement blessé... Calme-toi, ce ne sera rien. Nous les ferons entrer à la ferme quand la nuit sera venue, et nous garderons Paolino jusqu’à ce qu’il soit rétabli; quant à Filippo, nous verrons demain soir ce qu’il faudra faire pour lui. Mais ils ont marché toute la nuit, et ils doivent se tenir cachés pendant tout le jour; il faut donc leur apporter des provisions, et j’ai pensé que tu remplirais mieux cette commission qu’aucun de nous. Je ne pourrais, quant à moi, retourner maintenant d’où je viens, un paquet sous le bras, sans exciter des soupçons, et il importe que leur retraite soit ignorée de tous. Pars donc aussitôt que tu le pourras, et prends Lampo avec toi, car c’est lui qui les a découverts.

Rachel était demeurée immobile de surprise, de terreur et de joie pendant le récit de Pietro ; mais, tout absorbée qu’elle était dans la pensée de son amour, l’orpheline remarqua la fixité du regard que son cousin attachait sur elle. Troublée par ce regard morne et soupçonneux, elle répondit non sans quelque aigreur : — Mais si vous voulez que je lui apporte des provisions, pourquoi me retenez-vous?

— Je ne songe pas à te retenir, Rachel... Et maintenant que je t’ai dit tout ce que tu devais savoir, pars et hâte-toi. N’oublie pas seulement qu’ils sont deux.

— Pourquoi l’oublierais-je? répondit encore la jeune fille, qui comprenait que Pietro avait lu dans son cœur. Celui-ci n’était pas homme cependant à perdre son temps en vaines doléances sur son