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frères, se dit-il, et c’est fort aimable à elle, naturellement si vive et si étourdie, d’éprouver une si grande inquiétude pour de simples parens. — Pietro ne soupçonnait donc ni ce qu’était pour Rachel l’un de ces parens, ni les reproches qu’elle s’adressait sur sa conduite envers lui comme envers ses bienfaiteurs, tant il est vrai que les natures candides qui n’ont pas encore subi le contact du monde sont incapables de supposer et de reconnaître la dissimulation! A mesure qu’il admirait davantage la sensibilité de Rachel et qu’il déplorait les chagrins que lui causait cette sensibilité, Pietro devenait plus assidu auprès d’elle et lui témoignait plus d’affection que par le passé; mais, comme il arrive presque toujours à toutes les femmes, les attentions d’un amant qu’elle n’aimait pas causaient à Rachel des mouvemens d’impatience et de répulsion tels qu’elle n’en avait jamais ressenti de semblables. — Que me veut donc cet être grossier et stupide? se disait-elle parfois lorsque Pietro était demeuré plus longtemps que de coutume à ses côtés. Aurait-il par hasard formé des projets sur moi? Croit-il pouvoir réussir à me plaire? Quelle illusion !

Et Rachel, qui se reprochait avec un humble effroi ses prétentions à la main de Paolo, ne se disait pas que son cousin Pietro était le plus grand parti de la famille, le successeur immédiat et légitime de M. Stella, l’héritier désigné de son autorité et de sa fortune, tandis que Paolo n’était qu’un cinquième enfant encore sans carrière, par conséquent sans avenir, et ne possédant pas même un pauvre toit sous lequel il put abriter sa compagne. Elle se sentait autant au-dessous de Paolo qu’au-dessus de Pietro, et cela parce qu’elle aimait le premier et qu’elle était aimée du second. C’est sur de semblables bases que femmes et hommes fondent presque toujours leurs jugemens.

Paolo écrivait de temps en temps, et ses lettres apportaient tour à tour la joie et la terreur dans la famille. Elles étaient courtes, contenaient en peu de mots le récit des principaux événemens auxquels il prenait part, et trahissaient parfois un profond et amer découragement. Ce découragement n’était pas sans motif. Eloignés de leurs amis, ignorant ce qui se passait autour d’eux, les volontaires envoyés dans le Tyrol recevaient irrégulièrement et indirectement des nouvelles souvent contradictoires et presque toujours exagérées des mouvemens des troupes en campagne. Leurs plaintes, leurs inquiétudes librement exprimées irritaient les chefs, pour la plupart anciens militaires accoutumés à l’obéissance passive et à la discipline des camps. Lorsqu’il s’agissait de combattre, de marcher, de supporter les privations, les fatigues, et de braver le danger, les volontaires faisaient merveille et étonnaient leurs commandans, qui ne