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dédain ceux qui étaient attachés (ou qui avouaient l’être) à la société par d’autres liens que ceux du patriotisme. « Le vrai soldat ne doit avoir ni femme, ni enfans, ni maîtresse, » disaient ces jeunes gens, à peine sortis du collège, et qui pour la plupart avaient déjà eu plus d’une maîtresse. Paolo tenait d’autant plus à la bonne opinion de ses frères d’armes qu’il se sentait médiocrement apprécié par ses parens. Demander la main de Rachel dans la situation où il se trouvait, c’était encourir le blâme de ceux-là et se montrer encore plus enfant qu’il ne l’était réellement aux yeux de ceux-ci. Quand il reviendrait de sa première campagne, couvert de gloire, élevé à un grade considérable, favorablement connu de ses chefs et des membres du gouvernement, assuré par conséquent d’un brillant avenir, sa famille compterait avec lui, et, tout en regrettant peut-être qu’il n’eût pas fait choix d’un parti plus approprié à sa nouvelle fortune, elle n’oserait lui refuser un consentement dont il pourrait à la rigueur se passer. La pensée que Rachel fût un trop beau parti pour lui, et que ses parens en fussent convaincus, ne se présenta seulement pas à l’esprit de Paolo. Il ne céda donc pas aux instances, aux supplications de Rachel, et il exigea même d’elle la promesse de ne rien révéler de ce qui s’était passé entre eux, sans sa permission expresse, à aucun des membres de sa famille. Cette promesse, que Rachel se laissa arracher après une longue résistance, redoubla sa tristesse et son malaise; mais le jour de l’abdication de sa volonté était venu pour elle. En avouant son amour, elle avait courbé sa tête sous le joug et fait ce que bien d’autres ont fait avant elle.


III.

Paolo partit en emmenant son frère Filippo, Pietro, Cesare, Orazio demeurèrent à la ferme. Nous connaissons les opinions du premier. Cesare portait à l’extrême les principes paternels, et, peu accoutumé aux circonlocutions atténuantes, il proférait à chaque instant d’atroces blasphèmes contre le patriotisme. Tous les rebelles, disait-il par exemple, méritent le même traitement, une corde au cou. Tous ceux qui refusent d’obéir aux autorités établies sont des rebelles. Ceux qui jugent ou qui prétendent juger les actes de leurs maîtres sont aussi des rebelles, etc. — Quand M. Stella entendait ses propres sentimens ainsi mis en relief par son second fils, il commençait par sourire d’un air approbateur et satisfait; mais peu à peu ses sourcils se fronçaient, son visage se rembrunissait, il s’agitait sur son siège, et il finissait par quitter la place. Quant à Orazio, il était de l’avis de tout le monde, pourvu qu’on discutât sans se fâcher.