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caine. Les politiques à longue vue ne peuvent convenir aux pouvoirs à courtes échéances. Pour dominer l’avenir, il faut avant tout n’être pas pressé de l’escompter au profit d’une popularité présente. C’est la triste condition d’un chef de république de dépendre de l’opinion qui l’a élevé, et de ne pouvoir gouverner un jour sans la courtiser. Du haut d’un poste immobile, un roi est plus à son aise pour prévoir et attendre. Oui, sans doute, le roi Louis-Philippe, en maintenant de toute l’énergie de sa volonté la politique de la paix, songeait, en même temps qu’au bien de la France, à l’affermissement de son règne et à l’établissement de sa famille; mais c’est précisément l’excellence du principe monarchique de donner à l’exercice du pouvoir suprême quelque chose de cette perspicacité prudente qu’inspire le sentiment paternel. C’est sa vertu même de fondre si bien l’un dans l’autre l’intérêt d’un état et celui d’une famille, que le souverain et le père n’ont jamais de vœux différens à former, ni de but opposé à poursuivre. Quand de tels liens de solidarité existent entre une race et une nation, rien ne peut plus les rompre, ni le temps, ni l’exil. Les révolutions et les flots ont beau couler, rien ne peut empêcher les enfans proscrits de la grande famille d’applaudir de la rive étrangère aux fruits de la sagesse paternelle moissonnés par leurs frères d’armes.

Au dehors par conséquent et sur cette face de la politique qui regarde la frontière, j’ose le dire, c’est la monarchie qui a eu raison, et la république qui a eu tort, si bien que la république elle-même, pendant sa courte puissance, n’a pas cru pouvoir mieux faire que de suivre pas à pas les erremens de la diplomatie royale. En revanche, sur le point capital de la politique intérieure, c’est précisément le contraire qui est arrivé. La monarchie a engagé toute son existence pour maintenir dans les lois le principe de certaines restrictions apportées à l’exercice illimité des droits politiques. Ce principe a péri avec elle; mais, comme elle, il n’a pas revécu. C’est dans le principe opposé au contraire qu’un nouvel établissement royal est venu chercher appui et prendre naissance. Le suffrage universel, réclamé déjà par Carrel et proclamé par la république, demeure inscrit dans nos lois, et admis sans contestation à peu près par tous les partis. De tout ce qu’avait apporté le flux de 1848, c’est la seule chose que le reflux n’ait pas emportée. On doutait qu’il fût possible, il a marché; on doutait qu’il pût durer, il a survécu à toutes les institutions nées avec lui, et quoiqu’il soit bien jeune encore, l’enfant ne dépérit point.

Carrel ici, par conséquent, aurait pleine satisfaction, et pourtant je ne sais pourquoi j’imagine que son contentement ne serait pas sans mélange. Heureux sans doute d’avoir vaincu, je ne sais s’il aurait pour agréables tous les fruits de sa victoire. C’est que s’il n’y a