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que pendant un an. Ce grand talent ne se développa jamais à vrai dire. On n’en obtint pas moins à l’expiration de l’année d’épreuve que Rachel garderait son maître de musique, car sa voix était réellement fort belle, et pendant les vacances elle chantait une foule de chansons qui jetaient son oncle dans une sorte d’extase. Il se demandait pourquoi sa femme n’avait jamais chanté, et comment lui-même n’avait jamais songé à lui souhaiter ce talent. La jolie voix de Rachel lui valut une place à part dans le cœur et dans l’estime du fermier. Simple, quelque peu rude et grossier par nature et par habitude, le chant gracieux et naïf de cette enfant éveilla d’abord en lui une série d’impressions vagues et inconnues qui s’identifièrent peu à peu avec l’image et la personne de la chanteuse, si bien que tout ce que la nature avait mis de poésie dans l’âme du vieux fermier, et qui avait sommeillé jusque-là, devint pour ainsi dire la propriété de la jeune Rachel, qui fut bientôt à ses yeux un être à part, M. Stella avait pour sa nièce des soins et des attentions qu’il n’avait jamais eus pour personne. Il adoucissait sa voix en lui parlant, usait envers elle d’une indulgence tout à fait inusitée, prenait plaisir à l’entendre causer librement de ses occupations, de ses jeux, de ses compagnes, de ces mille riens qui composent la vie d’une pensionnaire dans tous les pays. Enfin le bon fermier en vint jusqu’à destiner à sa favorite le plus grand bonheur dont il pût disposer, c’est-à-dire la main de son fils aîné. — Rachel est pauvre, se dit-il, et mon fils pourrait prétendre à de meilleurs partis; mais est-ce la dot que ma femme m’a apportée qui m’a fait l’heureux vieillard que je suis aujourd’hui, qui m’a donné tant de joies et épargné tant de douleurs? Aurais-je été moins heureux si ma femme ne m’eût rien apporté qu’elle-même? Rachel est douce, elle est bonne, honnête et naïve; il y a quelque chose en elle qui chasse la mauvaise humeur et qui appelle la joie. Quelles richesses pourrait-on préférer à un don si précieux? Quand j’aurai donné à mon fils ce remède souverain contre la tristesse, lorsque j’aurai placé auprès de lui ce rayon de soleil qui réjouit et qui réchauffe, que je lui aurai fait présent d’une compagne affectueuse et reconnaissante, douce et économe, que lui manquera-t-il? Je le quitterai en me disant que je lui ai préparé une existence aussi heureuse et aussi paisible que l’a été la mienne, et cette pensée me donnera la force de bien mourir. Oui, Pietro sera heureux. Ah! que ne suis-je aussi tranquille sur l’avenir de mon cher Paolino!

Cependant les années avaient marché. Rachel, après trois ans d’études, avait quitté le pensionnat pour rentrer à la ferme. L’époux que son oncle lui destinait ne l’avait jamais quittée, et n’avait reçu que les leçons du maître d’école de la commune, homme aussi igno-