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d’eux. S’enfonçant dans quelque sentier bien connu de lui seul, il s’asseyait sur le bord d’un fossé et s’endormait sur l’herbe fraîche, d’où il se relevait avec une courbature ou la migraine. Aussi, quand le moment arriva de décider de son avenir, le fermier fit ce qu’il n’avait jamais fait jusque-là : il prolongea la discussion avec son beau-frère, et appela l’enfant à y prendre part.

L’opinion du beau-frère nous est connue; voici maintenant le dialogue qui s’établit entre le signor Stella et Paolino, alors âgé de douze ans et demi, tandis que la fermière, assise sous le manteau de son immense cheminée et ravaudant des bas qui formaient devant elle une espèce d’obélisque, écoutait en silence et poussait de temps à autre des soupirs qui entretenaient la flamme dans l’âtre. Le beau-frère, qui avait réclamé cette consultation comme devant porter le coup de grâce aux préjugés cette fois ébranlés du fermier, fumait sa pipe dans l’embrasure d’une fenêtre, et avait promis de ne pas intervenir dans le débat. Le père de famille débuta ainsi : — Voyons, Paolino, tu vas avoir treize ans, et tu seras un homme un de ces quatre matins. Que veux-tu faire?

Paolino ne comprit pas la portée de cette question inattendue, et il répondit machinalement : — Ce que vous voudrez, mon père.

— C’est très bien, reprit le fermier, qui ne put s’empêcher de jeter un regard triomphant sur son beau-frère, c’est très bien; mais je désire connaître tes goûts, tes préférences, car tu n’es pas taillé dans la même étoffe que le reste de la famille. Voyons : aimerais-tu à posséder un jour une bonne ferme à faire valoir, et à passer ta vie comme j’ai passé la mienne, comme tes frères passeront la leur, à la campagne, à cultiver la terre, à élever des bestiaux, et à gagner honnêtement de l’argent?

Paolino tenait le regard attaché sur un coin du plancher et paraissait réfléchir profondément, mais il ne répondait pas. Le père répéta sa question, à laquelle l’enfant répondit alors par un non timidement accentué. Le signor Stella fit un soubresaut, et Paolino rougit jusqu’aux oreilles. Ses yeux se remplirent de larmes, et sa poitrine se souleva, comme si elle allait éclater en sanglots. Un sourire de sa mère le rassura un peu, et le fermier, qui comprit au mouvement d’épaules de son beau-frère qu’il ressemblait en ce moment à un tyran domestique demandant la vérité à son enfant de façon à lui faire dire vingt mensonges, reprit d’une voix plus douce que la sienne, ne l’était ordinairement et avec un accent de reproche mêlé de quelque tristesse : — As-tu peur de moi, Paolino?... Que l’ai-je jamais fait ou dit pour te rendre si craintif? Si je désire connaître tes dispositions, c’est pour m’y conformer autant que cela me sera possible. Je n’ai nullement l’intention de forcer tes inclinations, et