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vait encore enlevées au toit paternel. Un grand paravent déroulé autour de la couchette l’isolait du lit conjugal.

Une petite porte percée dans le mur, auprès de la couchette, donnait accès à une seconde pièce presque aussi grande que la première, habitée jadis par les filles aujourd’hui dispersées dans leurs nouvelles familles. Deux grands lits de même dimension que celui du vieux couple, mais beaucoup plus simples, étaient réservés aux amis ou parens qui venaient parfois visiter le fermier. Dans les intervalles longs et nombreux qui séparaient ces visites, cette pièce inhabitée était le refuge favori des jeunes filles qui venaient y entasser leurs ouvrages commencés, leurs provisions de fil et d’aiguilles. Qui pourrait dire avec quel bonheur Philomène et Judith, quand elles parvenaient à dérober quelques instans aux soins officiels du ménage, couraient s’enfermer dans cette chambre, leur véritable domaine, pour y passer en revue les chiffons amassés par leur prévoyance? Que de chuchoteries, que de frais éclats de rire avaient résonné entre ces murailles nues, dans cette pièce abandonnée, qui eût paru sombre et triste à l’étranger, et qui ne l’appelait aux jeunes filles que de riantes pensées, des heures d’oubli et de gaieté enfantine !

Vis-à-vis de la porte d’entrée de cette chambre, et par conséquent de l’autre côté du passage, était la chambre dite des garçons. Elle comptait aussi ses deux grands lits, et une couchette qui était devenue depuis peu l’apanage exclusif de l’aîné. Les quatre plus jeunes fils du fermier se partageaient, lorsqu’ils étaient à la maison, les deux grands lits; mais sortons de l’habitation et jetons un regard sur les dépendances de la ferme, afin de ne rien négliger de ce qui peut faire connaître le théâtre assez compliqué de ce récit.

Les huit tours composant l’ancien château étaient distribuées avec une certaine régularité autour d’un terrain carré dont elles avaient fait une cour fermée. Quatre de ces tours se dressaient aux quatre coins du carré, tandis que les quatre autres marquaient le milieu des murs d’enceinte s’étendant d’un angle à l’autre. Les moins ruinées des tours avaient été converties en laiteries, en fromageries, en divers magasins de grenailles et de fourrages. L’habitation des fermiers occupait la tour la plus considérable et la mieux conservée, qui s’élevait au centre du mur faisant face au midi. Vis-à-vis de celle-ci, une autre tour presque aussi vaste et en assez bon état renfermait le moulin à riz, ce qu’on nomme dans le pays la pile au riz, parce que le riz est pilé et non broyé comme le grain. Ces piles sont des espèces de mortiers à plusieurs pilons mis en mouvement par une roue plongée dans un cours d’eau. Au-dessus du moulin étaient les dépôts du riz avant l’égrenage et ceux du riz