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par l’humidité ou creusées par le frottement de gros souliers ferrés. Le mobilier était plus que simple. Quatre chambres seulement étaient réputées habitables, ou, pour mieux dire, elles étaient habitées. L’une au rez-de-chaussée servait de cuisine et avait été, selon toute apparence, une salle des gardes dans les beaux jours de la féodalité; elle possédait pour tout ornement une resplendissante batterie de cuisine, une grande table en noyer sur laquelle la famille prenait ses repas, et quelques petites chaises de paille placées en avant des bancs de pierre scellés dans le mur de l’immense foyer; ces chaises étaient réservées aux enfans, tandis que les grandes personnes se tenaient assises sur les bancs. Au premier étage, où l’on arrivait par un escalier qu’un escadron de cavalerie eût sans trop de peine monté au galop, on trouvait d’abord la chambre à coucher du fermier et de sa femme. Un lit immense en bois de noyer, à colonnes et à dais, composé de quatre matelas et d’une paillasse gigantesque rembourrée de feuilles de maïs desséchées, la courte-pointe en moire antique, les draps en belle toile garnis en mousseline tuyautée, les longs oreillers posés symétriquement et garnis comme les draps, témoignaient au premier coup d’œil des mœurs patriarcales de la famille. Ce lit était ainsi fait et arrangé chaque matin depuis quelque trentaine d’années, et les mêmes ornemens qui avaient embelli la couche des jeunes époux, l’élégance qui avait souri à leur entrée dans la vie de famille, les réjouissaient encore dans leur paisible vieillesse. Ce lit, ce mobilier racontaient toute une histoire de bonheur monotone, de jours succédant aux jours, sans apporter d’autre changement que la lente succession des années; ils repoussaient victorieusement toute pensée d’orages, de bouleversemens, de catastrophes; les larmes mêmes qui avaient peut-être baigné ces oreillers ne pouvaient être que des larmes de résignation. Digne commentaire de tant d’ordre et de sérénité, un prie-Dieu aussi en bois de noyer flanquait chaque côté du lit et portait sur ses tablettes plusieurs petits livres de prières reliés en peau brune. Deux ou trois rameaux d’olivier entremêlés de fleurs artificielles étaient accrochés au mur au-dessus du chevet conjugal, et couronnaient comme d’un diadème de fleurs une gravure où la vierge Marie était représentée souriant à l’enfant Jésus, qui jouait avec un petit saint Jean vêtu de la traditionnelle peau de brebis. Au-dessous de cette gravure pendait un Christ en ivoire, auquel les gens du pays et les fermiers eux-mêmes attribuaient une vertu miraculeuse. Outre plusieurs armoires, commodes ou bahuts d’un âge vénérable, on eût pu encore remarquer dans un coin de la pièce une couchette réservée depuis nombre d’années aux plus jeunes enfans des fermiers, couchette occupée à cette heure par les deux filles qu’aucun mari n’a-