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velle qui le rendait parfois si ardent contre certains actes du pouvoir. Quand plus tard tous les combattans se trouvèrent également mis hors de combat, il consentait très volontiers à oublier les luttes qui l’avaient séparé de quelques hommes éminens comme lui et libéraux comme lui. Il rendait justice aux intentions et aux talens de chacun. Il disait volontiers : « Nous sommes tous des vaincus, et nous aurions mauvaise grâce à nous quereller dans notre commune défaite; » mais d’un autre côté, s’il aimait la paix entre vaincus, il faut bien ajouter, pour être exact, qu’il n’aimait pas plus qu’un autre qu’elle se fît à ses dépens ni aux dépens de ses doctrines, et que, semblable d’ailleurs en cela à tous les hommes dont les convictions sont très arrêtées, il ne voyait dans le présent qu’un motif de plus de croire qu’il avait eu raison dans le passé.

Il était du reste en droit autant que personne de n’éprouver que de la tristesse sans repentir, car il avait montré dans plus d’une circonstance, où de différens côtés la sagesse avait peut-être cédé à la passion, qu’il était un homme d’état plus qu’un homme de parti, et que ses passions étaient toujours dominées et réglées par ses principes. Nous pourrions citer ici un curieux discours prononcé par lui le 18 janvier 1842, dans lequel, insistant sur les conséquences, suivant lui funestes, des grands conflits personnels qui avaient agité la chambre en 1839, blâmant également tous ceux qui y avaient pris part, et ramenant tout à son idée fixe, la fragilité des institutions libres dans un pays tel que le nôtre, il indique hardiment, dans un avenir prochain peut-être, un genre de danger que personne ne prévoyait alors, celui de l’abandon par la France du gouvernement parlementaire et de son remplacement par un régime tout différent. Nous ne reproduirons pas ce discours, parce qu’il nous paraît inutile de réveiller des débats aujourd’hui éteints, et dont l’appréciation appartient à l’histoire. Nous parlerons seulement de l’attitude que prit Alexis de Tocqueville dans les orageuses luttes qui précédèrent la révolution de février. Cette attitude offre un caractère de sagesse et de clairvoyance si marqué, que c’est pour nous un devoir absolu de la mettre en pleine lumière.

Il voulait la réforme électorale et la réforme parlementaire; il combattit vivement pour elles, mais à la tribune seulement. Quand la plupart de ses amis politiques s’associèrent au pai ti radical et entreprirent d’agiter le pays, persuadé que la nation française n’était pas assez formée à la vie publique pour pouvoir être ainsi impunément remuée, que, s’il était facile de mettre la multitude en mouvement, il était beaucoup plus difficile de l’arrêter, et qu’enfin il valait mieux attendre plus longtemps une victoire certaine que d’en compromettre les résultats par l’emploi de moyens dangereux.