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La seconde éventualité redoutable semble au premier abord être beaucoup moins subordonnée à des volontés particulières. Elle dépendrait tout entière, paraît-il, de cette irrésistible force qui entraîne le monde industriel, même malgré lui, sur la voie du progrès. La question revient à se demander en effet si la taille des pierres précieuses se prêterait à la création de grands ateliers mécaniques analogues à ceux qu’on a établis à Amsterdam pour le diamant. Si de telles usines devaient présenter des avantages, rien ne pourrait en empêcher la formation. Il est évident du reste que, fondées soit à Paris, soit à Septmoncel, elles réagiraient profondément d’une manière ou d’une autre sur l’industrie du Jura : à Paris, en entraînant la dépossession rapide des lapidaires septmoncelois; à Septmoncel, en rendant impossible le travail en famille.

Disons-le : au prix où la taille s’effectue, cette révolution nous semble encore éloignée, en admettant qu’elle devienne possible. Dans la capitale, de telles usines ne fourniraient pas un moyen de travailler à plus bas prix qu’on ne le fait dans le Jura. Sur le plateau de Septmoncel, le transport de la houille nécessaire aux appareils à vapeur, même après l’achèvement des chemins de fer projetés dans la Franche-Comté, augmenterait singulièrement les frais de production. Quant à établir des moteurs hydrauliques, les torrens voisins sont trop capricieux pour qu’on puisse y songer.

Dans une seule hypothèse cependant, le danger deviendrait réel. Si les lapidaires septmoncelois, oubliant leurs traditions, s’abandonnaient à des déréglemens d’où viendrait, avec l’irrégularité dans le travail, l’augmentation des dépenses de la famille, ils peuvent être sûrs que l’industrie s’évertuerait à trouver à tout prix des ressources nouvelles dans la mécanique moderne. En ce sens, le péril est donc en eux-mêmes. Dans toutes les situations sociales, il n’y a pour l’homme de sécurité au point de vue de l’ordre matériel, comme de dignité au point de vue de l’ordre moral, que si, en respectant et les autres et lui-même, il sait rester maître de ses instincts.

Lorsque nous quittâmes Septmoncel pour continuer nos visites dans le Jura, où l’on nous signalait quelques autres groupes non moins dignes d’étude, nous trouvions que les élémens recueillis étaient de nature à inspirer une solide confiance en l’avenir. La réflexion n’a fait que fortifier depuis ce premier sentiment. Sans doute la situation ne restera pas absolument ce qu’elle est; la force des choses modifiera l’isolement actuel. La route qui monte jusqu’à Septmoncel depuis plusieurs années sera tôt ou tard complétée par d’autres, qui rendront ce district plus accessible aux investigations comme aux influences du dehors. Que faut-il à ce petit monde pour qu’en cessant d’être en quelque sorte muré sur lui-même, il