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néanmoins par la finesse de leurs reparties dans les conversations les plus ordinaires, les ouvriers de Septmoncel pourraient se livrer, si quelque influence intelligente et dévouée leur en ménageait les moyens, à des lectures d’un ordre plus élevé, plus propres à étendre leurs facultés natives, à leur procurer quelques connaissances utiles.

Certes, quand on songe à l’insuffisance des moyens d’instruction mis à la portée des humbles lapidaires du Jura, on s’étonne qu’ils aient pu se montrer aussi accessibles à l’esprit de la civilisation moderne, dont le caractère est de rendre les hommes de plus en plus aptes à la pratique du bien par la culture de leurs facultés intellectuelles. On ne s’étonne pas moins des progrès de tout genre réalisés au sein d’une peuplade aussi éloignée du monde par l’escarpement de ses montagnes. Telle est l’influence salutaire qu’exerce sur les natures vigoureuses l’obligation de ne compter que sur elles-mêmes. Une fois mise en possession d’une industrie spéciale qui lui permettait de vivre, la population septmonceloise a été poussée, par les inconvéniens attachés à sa situation, à fouiller plus avant qu’ailleurs dans sa propre énergie. Les efforts qu’il a fallu faire en face d’un sol si ingrat et si rebelle ont donné aux intelligences une souplesse qui se confond aujourd’hui avec les instincts les plus spontanés.

Une question d’un très vif intérêt pour la population septmonceloise se présente d’elle-même, dès qu’on réfléchit un peu sur l’organisation de l’industrie des lapidaires. N’est-il pas à craindre qu’il s’accomplisse dans cette industrie, comme cela est arrivé dans d’autres, une de ces révolutions par lesquelles le régime du travail est bouleversé de fond en comble? Deux faits d’une origine diverse auraient pour conséquence inévitable, s’ils se réalisaient, de jeter une assez grave perturbation à Septmoncel. Supposons d’abord que les commettans, les fabricans, si l’on veut, qui donnent les pierres précieuses à tailler, cédant à un entraînement déplorable, cherchent à peser de plus en plus sur les salaires; il est certain qu’ils finiraient par porter bientôt un coup mortel à l’industrie locale. Il faut en effet de toute nécessité que l’ouvrier tire de son labeur les moyens de vivre. Or, comme il n’est pas possible de vivre plus rigidement qu’on ne vit à Septmoncel, le salaire ne peut être réduit qu’aux dépens de l’exécution, c’est-à-dire de la qualité du travail. Il faudrait toujours obtenir le même gain journalier. Qu’arriverait-il alors? Avec des travaux moins achevés, la fabrique du Jura verrait à coup sûr décroître sa clientèle, et ce serait la fabrique parisienne, sa bile et sa rivale, qui en tirerait profit. De cette façon, les fabricans du pays auraient préparé sans le vouloir la perte de leur commerce. Il faut espérer que leur propre intérêt les préservera de ce périlleux écueil.