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vous remarquez que tout se passe sur un pied d’aisance parfaite; point de hauteur dédaigneuse d’une part, point de familiarité prétentieuse de l’autre. On agit simplement, dignement, chacun dans son rôle, comme deux parties dans un contrat. Quelle différence entre l’attitude de l’ouvrier de Septmoncel rapportant les pierres qu’il a taillées et celle de tel pauvre tisserand de la campagne dans certains districts, quand il vient, lui aussi, rendre sa pièce d’étoffe à l’intermédiaire dont il la tient habituellement! Comme ce dernier est traité avec un dédain inconnu du premier! comme sa susceptibilité est peu ménagée! Il épie, le cou tendu, les moindres signes des impressions de son juge, tremblant, ou que son salaire ne soit rogné pour des mal façons plus ou moins réelles, ou qu’il ne soit renvoyé lui-même sans emporter d’autre ouvrage. Dans une telle scène, on ne reconnaît plus guère deux parties traitant librement ensemble. On songe naturellement au mot de Sénèque, rappelant le droit inhérent à la personnalité humaine à propos d’un esclave maltraité : « homo est, il est homme. » On aime l’attitude si différente de l’ouvrier septmoncelois. Combien l’instinct de la dignité personnelle et l’amour de l’indépendance sont admirables quand ils sont unis à des sentimens droits! Combien il importe dès lors de les défendre et contre la perversité qui les dénature, et contre l’ignorance qui les obscurcit!

Quelles barrières protègent les lapidaires de Septmoncel contre la démoralisation? L’ignorance, on l’a vu, n’est point dans les tendances locales. On aime à s’instruire, on aime à acquérir au moins ces connaissances élémentaires dont aucun être humain ne devrait rester privé. Les chefs de famille comprennent le prix de l’instruction. Nous ne sommes plus ici dans le bas Jura, où l’ignorance, quoique combattue par la création d’écoles gratuites, conserve encore un si large domaine. Tandis que là-bas les parens se décident difficilement à envoyer leurs enfans à l’école, aucun d’eux ne voudrait ici manquer à ce devoir. Comme les intelligences sont d’ailleurs vives et nettes, il est rare que l’enseignement ne produise pas ses fruits. Il y en a une preuve dans ce fait, que la langue française est parlée sur ces montagnes lointaines avec une correction rare dans nos villes mêmes. Le désir de cultiver jusque dans mi âge mûr les élémens de l’instruction reçue pendant l’enfance paraît assez général. Parmi les distractions du dimanche, surtout durant l’hiver, nous aurions pu citer les lectures, auxquelles il n’est pas rare de voir les lapidaires consacrer quelques heures ce jour-là. Outre les livres qui ont une destination spéciale pour les offices religieux, on ne possède cependant, à vrai dire, que quelques almanachs, quelques volumes pris au hasard dans la balle d’un colporteur. Si l’on en juge