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flu. À ces conditions si exceptionnelles correspondent des goûts, des mœurs, des caractères non moins singuliers. La physionomie morale des habitans de cette région est tout aussi tranchée que celle de leurs montagnes. Il y a plus de trente ans, un médecin du pays avait glissé dans un mémoire sur les maladies du haut Jura une réflexion, utile à rappeler ici, sur le tempérament moral de la population de Septmoncel. «C’est, écrivait-il, une sorte de peuplade dont le caractère s’éloigne presque en tout de celui qui est général. » Oui, dirons-nous, mais il s’en éloigne sans avoir pour cela rien de choquant; il reste au contraire profondément sympathique. Tout en étant original, il suffit de l’observer dans ses traits principaux pour reconnaître qu’il s’alimente à la source de ces idées qui forment en France le fonds de l’existence commune. On est frappé d’abord de ce qu’a de puissant le lien qui unit entre eux les membres d’une même famille. Fortifié par le rapprochement qu’entraîne le régime du travail, il conserve à Septmoncel une remarquable énergie. Jamais on n’y voit les enfans, dès qu’ils sortent d’apprentissage, s’en aller louer quelque gîte séparé. Le mariage ne rompt même pas le faisceau primitif : la famille élargie s’arrange le plus souvent pour occuper la même maison et vivre à la même table. Cette organisation des ménages a pour résultat de bannir le vice éhonté et les scandales dont il est inévitablement suivi. La régularité de la vie est d’ailleurs cimentée par l’usage où l’on est de se marier de bonne heure; elle l’est encore davantage par la conservation des habitudes religieuses. C’est le dimanche surtout qu’il faut observer la population septmonceloise. Parmi les distractions que ce jour ramène figurent, suivant la saison, des promenades sur les coteaux d’alentour, ou des visites entre parens et voisins, La part faite le dimanche aux dépenses inutiles, même à l’âge où la prévoyance manque le plus, se ressent de la vie en commun sous l’autorité du père de famille. Il n’y a pas de ces dissipations insensées qui absorbent en un jour le produit d’une semaine de travail. On est généralement économe, on l’est par habitude, sinon par suite d’une prévoyante réflexion; d’ailleurs, depuis que l’institution des sociétés de secours mutuels a pénétré dans ces montagnes, on commence à mieux comprendre les avantages de l’épargne.

Les nuances les plus tranchées du caractère local échappent au cercle de la vie domestique proprement dite, et semblent se lier à des inspirations plus générales. Certains événemens historiques, certaines luttes dont ces montagnes ont été le théâtre, et peut-être aussi la situation du pays sur la frontière même, y ont suscité et entretenu un penchant très visible à protéger le faible, à donner asile au vaincu. La contrée est encore pleine des souvenirs de cette