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moncelois se tient assis sur un escabeau élevé, prétendant que sa main, s’il se tenait debout, ne serait pas aussi sûre. Il fait mouvoir sa roue de la main gauche, à l’aide d’une manivelle, tandis qu’il tient dans l’autre main un petit bâton au bout duquel la pierre est solidement mastiquée[1]. Chaque métier est garni de bords pour empêcher les pierres de rouler jusque sur le plancher; ces bords sont très peu élevés sur le devant, afin de laisser pleine liberté aux bras de l’homme. Le travail du lapidaire n’a rien de très pénible; cependant le maniement de la roue de plomb pourrait entraîner de graves inconvéniens et provoquer la maladie appelée colique de plomb, si l’ouvrier ne s’astreignait pas très rigoureusement à certains soins, d’ailleurs faciles à prendre, et qui ne sont que des soins de propreté. L’état de lapidaire est généralement exercé par des hommes, mais on voit aussi des femmes le pratiquer avec succès. Quant aux enfans, ils commencent leur apprentissage dès l’âge de dix ou douze ans; on leur ménage les pierres les moins rebelles. Les métiers sont montés dans la chambre même qu’occupe la famille et, autant qu’on le peut, près des croisées; il s’en trouve parfois jusqu’à quatre et cinq dans une seule pièce. Le prix du travail ne se calcule pas à la journée; il se calcule, comme on dit vulgairement, à la tâche[2]. Il dépend dès lors de l’ouvrier de fixer la durée de sa besogne quotidienne; la journée n’est pas moindre de douze heures, et dans ces ateliers, que n’atteint point la loi sur la durée du travail, elle se prolonge souvent jusqu’à quinze et seize heures.

On se demande ce que peut gagner par jour, dans de pareilles conditions, un ouvrier lapidaire. Il est superflu de dire que son salaire varie suivant que le travail est plus ou moins actif, suivant que les commandes, qui subissent dans cette industrie d’assez fréquentes vicissitudes, arrivent en plus ou moins grand nombre[3]. En le considérant à divers momens, il nous a été possible d’établir

  1. Puisque nous avons dit plus haut un mot de la taille du diamant, nous devons faire remarquer que l’opération présente quelque singularité, si on la compare à la taille des autres pierres. Le diamant refuse de céder à des élémens qui lui sont étrangers; il faut employer, au lieu d’émeri, du diamant réduit en poudre et qu’on humecte avec de l’huile d’olive. Il est taillé et poli en même temps sur une roue en fer fondu tournant avec une extrême rapidité. On est obligé de donner fréquemment un coup de lime à la meule pour la faire mordre. Le diamant brut est fixé dans un amalgame de plomb et d’étain.
  2. En thèse générale, quand il s’agit des pierres d’un prix modéré, la taille figure à peu près pour le dixième de la valeur vénale; ainsi le morceau de jaspe sanguin que nous payons 20 francs chez le joaillier a été taillé et poli pour 2 francs.
  3. Il ne faut point s’étonner s’il est partout dans les destinées d’une telle industrie de rester subordonnée aux caprices du luxe et aux évolutions de la richesse générale. De pareilles vicissitudes se sont fréquemment produites dans le travail des lapidaires d’Amsterdam; quelquefois en outre la besogne leur a manqué faute d’arrivages, alors que la matière première faisait défaut aux joailliers eux-mêmes.