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studieuse vieillesse s’écoule paisiblement dans une des vallées les plus solitaires de ce pays. « Pour vous élever jusqu’à Septmoncel, disait notre correspondant, ce ne serait pas trop d’avoir à votre disposition les engins des célébrités aéronautiques que vous avez possédées à Paris, et qui pendant un moment ont fait accourir la foule. » C’était là cependant un anachronisme : depuis que l’auteur de cette lettre n’avait escaladé ces montagnes, on avait construit sur le flanc des rochers une route spacieuse qui pénètre jusqu’au centre du village, situé à 1,286 pieds au-dessus de Saint-Claude, et à 3,214 pieds au-dessus du niveau de la mer. Mais jugez du nombre et de l’étendue des détours décrits par cette route : tandis qu’à vol d’oiseau il y a entre Saint-Claude et Septmoncel moins de 2 kilomètres, il y en a plus de 10 par le nouveau chemin.

Pendant la moitié de la route, on domine une vallée que traverse un torrent assez ambitieusement nommé Flumen. Ce torrent mérite toutefois qu’on en remonte les bords jusqu’à 2 ou 3 kilomètres au-dessus de sa jonction avec la Bienne, près de Saint-Claude, car ses eaux forment à cette distance une cascade fort belle, la plus belle sans contredit de tout le Jura, où les chutes de ce genre sont cependant si multipliées. Le Flumen tombe de 12 à 15 mètres de haut, et l’onde écumeuse roule aussitôt entre quelques arbres gigantesques sur le vert tapis des prés. Au moment d’arriver à sa chute, ce même ruisseau met en jeu plusieurs moulins perchés d’une façon pittoresque sur le revers de la montagne, et qui sont à peu près à moitié chemin de Saint-Claude à Septmoncel.

Quoique le plateau de Septmoncel, qu’on atteint vite une fois que ces moulins ont été dépassés, se trouve, comme on vient de le voir, à une hauteur considérable[1], on n’y jouit pas d’une perspective étendue. L’horizon y est subitement j’étréci par quelques cônes élevés, auxquels les larges interstices qui les séparent ne permettent pas néanmoins de procurer au village un abri contre les vents. L’air est ici très vif et très froid ; la température permet à peine à quelques arbres fruitiers de grandir, et encore leurs fruits mûrissent-ils mal. Le groseillier, par exemple, dont l’humeur est pourtant si facile, a besoin d’être mis en espalier et dans une exposition choisie pour que ses grappes finissent par s’empourprer. Le point culminant du village de Septmoncel est occupé par l’église, à laquelle mène une espèce de rue très raboteuse où les pluies ont dégradé

  1. La chaîne du Jura, longue de 310 kilomètres, présente des sommets qui dépassent de beaucoup les 1,044 mètres d’altitude de Septmoncel, tels que ceux de la Dôle, du Reculet, du Mont-Tendre, dont la hauteur va de 1,690 à 1,734 mètres. On sait d’ailleurs que rien n’est plus arbitraire et plus incertain que la mesure de la hauteur des montagnes. Pour les pics les plus célèbres de l’Europe, les mesures données varient parfois entre elles de plus de cent pieds.