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à chaque question qui se présente, on s’arrête pour se demander : Si cet esprit, après tout clairvoyant et sincère, était rappelé aujourd’hui sur la scène, qu’est-ce que lui auraient appris les grands coups de théâtre dont nous avons été les témoins ? Que penserait-il aujourd’hui lui-même de la valeur de ses argumens, du résultat de ses efforts, du fondement de ses craintes ou de ses espérances ?

Chose singulière, et qui frappe d’abord dans cet examen, le point sur lequel les événemens ont jeté le moins de lumière, c’est celui qui était ou du moins qui paraissait le principal il y a vingt ans. Entre la république et la monarchie, la fortune s’est prononcée à deux intervalles si rapprochés et dans des sens si contraires, que si on n’avait que son jugement pour se décider, on courrait risque en vérité de rester dans l’incertitude. Elle semble s’être proposé le but malicieux de donner tour à tour raison et tort à tout le monde. Il y avait à l’établissement d’une république en France des difficultés pressenties par l’instinct populaire et déduites dès longtemps par la raison, et c’est précisément contre ces écueils marqués d’avance sur toutes les cartes que la république est venue solennellement échouer. Mais Carrel dénonçait dans la monarchie qu’il combattait, et même dans toute monarchie possible en France, des faiblesses très réelles et qui en rendaient l’établissement très précaire parmi nous, et il faut convenir que c’est aussi par ces côtés faibles que la monarchie a péri.

« Vous ne fonderez point la république en France, disait-on à Armand Carrel. La France n’est pas républicaine ; ses goûts, ses pensées, ses souvenirs, ses sentimens, toute sa constitution sociale en un mot repousse le pouvoir collectif et appelle le gouvernement d’un seul. C’est à l’ombre d’un trône qu’elle a grandi, vécu, vieilli ; son magnifique développement social n’est qu’une plante grimpante dont la fécondité enlace un seul tronc par mille anneaux. Otez le tuteur, toute cette végétation luxuriante va languir et sécher. La France vit d’une centralisation forte, d’une armée de trois cent mille hommes, d’une capitale d’un million d’âmes, d’un pouvoir exécutif debout au centre, mais rayonnant partout, et toujours à l’œuvre. Que fera votre république d’un tel pouvoir ? Si elle le divise, elle l’annule, et la société s’affaisse avec lui ! Si elle le concentre, ce sera sur la tête d’un homme illustré par ses talens, ou désigné par la faveur populaire. Un tel homme, porté par le génie, ou par la popularité qui supplée au génie, fort d’un suffrage à qui rien ne résiste, s’élèvera comme une menace constante pour la république elle-même, qui courra grand risque de périr de la main de son premier enfant. Ainsi ont fini toutes les brillantes démocraties de ce monde, Athènes et Florence. Seulement, avec une puissance