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et si le régime politique de l’Union est pour l’Europe un sujet de fécondes études, accorde-t-on aux principes qui dirigent le développement intellectuel et moral de la société américaine toute l’attention qu’ils méritent ? À ce dernier point de vue sans doute, la florissante république a des traits particuliers, dont les uns la déparent à nos yeux, les autres la rehaussent : ce qui nuit le plus, je ne dirai pas seulement à la réputation de l’Amérique, mais à sa vraie grandeur, à son avenir, c’est à coup sûr l’esclavage ; ce qui lui fait le plus d’honneur, ce sont les efforts, les sacrifices qu’elle s’impose pour l’éducation du peuple. C’est par ce dernier côté que je voudrais l’envisager ici, et je ferai tout de suite remarquer que c’est dans les états libres seulement qu’on peut aller chercher des modèles.

Pour déterminer les principes qui dirigent la société américaine en matière d’éducation, il faut aborder en premier lieu une question plus générale, celle des devoirs de l’état envers les individus. Il est peu de nations assurément chez lesquelles les idées socialistes aient fait aussi peu de progrès que chez les peuples d’origine anglo-saxonne ; l’individu y est resté trop puissant pour consentir à s’effacer entièrement devant l’état. Il n’est pourtant pas de contrées dont les institutions publiques portent plus vivement qu’en Angleterre et dans la république américaine l’empreinte de la doctrine fameuse qui fait résulter toute société d’un contrat entre les membres qui la composent, et assigne des devoirs impérieux à l’état aussi bien qu’aux particuliers. Cette doctrine, au point de vue historique surtout, a été beaucoup discutée : on a nié que des hommes sortant de l’état barbare pour s’unir en société aient pu imaginer des théories politiques qu’aujourd’hui encore la minorité des esprits est seule apte à concevoir. Sans s’occuper du passé, il faut avouer que de nos jours une société n’est stable, forte, prospère, qu’autant que les individus accomplissent tous leurs devoirs envers le souverain, et que celui-ci en retour accepte et remplit certains engagemens envers les individus. On ne diffère guère que sur la nature même et la portée de ces engagemens. Tout le monde admet que l’état doive aux particuliers la protection de leurs personnes, de leurs propriétés ; de là résulte la nécessité des armées, des polices, des lois. Les sociétés issues du monde romain ont toujours cru de leur devoir de favoriser le développement des idées religieuses. Il n’est pas un état en Europe qui n’ait un budget des cultes ; les uns consentent à payer toutes les sectes, les autres n’en favorisent qu’une : en Amérique, le souverain s’est soustrait à toute obligation de ce genre ; là seulement, l’église a été à jamais et radicalement séparée de l’état.

La société doit-elle à chacun de ses membres le travail ? Cette