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Lorsqu’elle se calma, ce fut à mon tour de la questionner. Par qui avait-elle appris la maladie de Pepe? Comment s’était-elle hasardée à entreprendre seule et à pied cette longue course, elle qui ne connaissait Florence que pour y être venue une seule fois dans sa vie? Pichichia me conta qu’elle était le matin en sentinelle à son poste ordinaire. Elle avait vu arriver la voiture, les chevaux de Pepe. Hélas! Pepe ne les conduisait pas. Elle s’était précipitée. Le cocher avait passé outre. Ses cris l’avaient fait cependant arrêter. « Qu’est-il arrivé? La voiture de Pepe porte des étrangers à Vallombreuse, et ce n’est pas lui qui est sur le siège!... Il est donc mort? — Non, mais il n’en vaut guère mieux; il est très malade. » Sans regarder en arrière, elle prend la route de Florence. Elle est dans son costume de travail, elle n’a pas une crazia en poche; mais elle va droit devant elle, sous la protection d’un signe de croix, sans autre pensée que celle de Pepe.

Lui et moi exceptés, Pichichia ne connaissait pas une âme en ville. Que faire d’elle jusqu’au lendemain? Je la conduisis dans une auberge voisine de San-Remigio, dans le borgo dei Greci, à l’enseigne du Lis rouge. La maison était d’apparence honnête. J’entrai suivi de mon escorte féminine. Le patron de la locanda parut fort étonné. Un étranger bien vêtu et une contadine pieds nus, c’était une association que, malgré sa longue expérience de la vie, il n’avait pas rencontrée encore. Moitié de bonne grâce, moitié de mauvaise humeur, il donna cependant gîte à Pichichia, après avoir écouté d’un air assez incrédule les quelques explications que je jugeai à propos de donner. J’allais donc me retirer, lorsque la pauvre fille prit peur de rester seule à l’auberge. Sur la route, en plein air, au milieu des champs, toute à son chagrin, à ses angoisses, à son désespoir, elle n’avait pas éprouvé d’inquiétude pour elle-même. Tranquillisée sur le compte de Pepe, enfermée dans les murs d’une grande ville, claquemurée dans une chambrette d’auberge, Pichichia s’effrayait et faisait mine de ne plus vouloir me quitter. On juge de mon embarras; je lui fais à grand’peine comprendre qu’elle ne peut venir à mon hôtel. Son parti pris sur ce point, une nouvelle difficulté se présente aussitôt : elle veut aller prier pour son amant.

— C’est à merveille, ma fille; mais priez dans votre chambre.

— Non, je veux aller à l’église; je veux aller prier la madone de l’Annunziata. C’est une madone qui a fait quantité de miracles. Qu’elle m’accorde la guérison de Pepe! Il faut que je fasse brûler un cierge devant son image !

Je me trouvais parfaitement ridicule, croyant donner la comédie aux assistans. Pas du tout; cette scène redressait la mauvaise impression produite par notre entrée. Chacun dès lors fit bon visage