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qu’elle revenait toujours avec l’air triste et découragé. Je me rappelai lui avoir vu quelquefois à la même heure le visage épanoui et la physionomie rayonnante de bonheur. Je guettai sa sortie. Elle descendait le poggio. Je la suivis de loin. Elle gagna par un chemin de traverse la route de Pontasieve à Vallombreuse. Vis-à-vis le point de rencontre des deux voies s’élève une petite chapelle; une simple arcade peu profonde, fermée par une grille, protège contre la pluie une statuette de la Vierge. Devant la sainte image, une lampe, entretenue par je ne sais qui, brûle nuit et jour. Arrivée là, Pichichia fit le signe de la croix et s’assit au bord de la route sur une berge qui la domine de quelques pieds. Le coude sur les genoux, la tête dans la main, elle regarda longtemps dans la direction de Pontasieve, prêtant peu d’attention aux voitures et aux piétons qui montaient ou descendaient à ses pieds, et sourde aux apostrophes que lui lançaient au passage les jeunes gars étendus dans le filet de leur carro. Ces charrettes sont fort pittoresques. On les peint toujours en rouge. Elles ont de courts brancards fixés par une lanière de cuir au sommet d’une sellette plus haute d’un pied que le dos du cheval, ornée de clous et de plaques de cuivre, et surmontée d’une vraie girouette de même métal. Leur attelage de petits chevaux nerveux, agiles, aussi ardens que maigres, couverts de glands et de pompons écarlates, rappelle beaucoup le corricolo napolitain. À ces chars de forme si gracieuse, Pichichia ne prenait point garde. Elle ne levait la tête que pour les fiacres. On aperçut enfin, sortant d’un nuage de poussière, deux chevaux gris traînant une calèche découverte; elle se mit aussitôt debout, et, plaçant sa main étendue devant ses yeux, regarda attentivement du côté du véhicule; puis elle se rassit, agitant l’extrémité d’un de ses pieds nus, comme quelqu’un qui soulage l’impatience de son cœur par un peu de mouvement physique. Au bout d’une demi-heure, elle reprit le chemin de Manafrasca. Les jours suivans, même manège. Mon indiscret espionnage ne m’apprenait rien, sinon qu’elle attendait, et que son attente était vaine.

— Vous avez bien de la dévotion à la madone, me hasardai-je un jour à lui dire.

Che?... (Autre que le premier, ce che signifiait : je ne comprends pas.)

— On m’a dit que vous alliez tous les matins en pèlerinage à la chapelle de la route, repris-je en la regardant malignement.

— Je ne m’en cache pas, me répondit-elle avec plus de tristesse que de confusion. Et elle ajouta à demi-voix avec un soupir : Il y a bien longtemps que la madone n’a exaucé ma prière!

— Et que lui demandez-vous? repris-je aussitôt.