Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/317

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une nouvelle bévue. J’appris qu’il y a peu de jeunes contadini qui ne fassent leur cour à quelque ragazza du voisinage, et cela en tout bien tout honneur. On m’a dit depuis que ce dernier point était une règle qui admettait quelques exceptions,

— Je suis en ce cas surpris que personne ne vienne a dama dans cette maison, dis-je en me tournant vers Pichichia.

Che !... répliqua-t-elle en rougissant.

La réponse n’était pas bien claire. Le che veut dire tant de choses, selon l’accent plus ou moins guttural avec lequel il est prononcé, qu’il faut être un italianisant consommé pour comprendre à coup sûr la pensée, comme pour en bien saisir la nuance. Le geste aide le plus souvent à deviner; mais Pichichia tressait de la paille, et ses mains n’avaient point parlé. Elle avait rougi. Je crus bonnement que c’était par timidité, et que son exclamation exprimait un modeste embarras. Point du tout. A son air mortifié et au ton de sa voix, un homme plus au fait aurait compris que tout autre était la cause de son trouble. Ce qu’elle éprouvait, c’était l’inquiétude que je la crusse négligée, méconnue, méprisée. Son che voulait dire : u Si on ne me fait pas la cour, c’est qu’il me plaît ainsi.» Au reste, mon erreur ne fut pas longue. Une observation de sa mère suffit pour la dissiper.

— Assurément, ajouta-t-elle, froissée elle-même dans son amour-propre maternel, si Pichichia ne les rebutait pas tous, il ne manquerait pas ici de galans. Il y a le fils de Galetti, un marchand de grains.... si, signore, vrai comme la madone! — le fils d’un riche marchand de grains de Pontasieve... Il ne sortirait pas d’ici, si cette grande sotte lui avait laissé la moindre espérance.

Pichichia fit deux fois claquer sa langue contre ses dents, en élevant la main et en l’agitant à plusieurs reprises de gauche à droite. Bien qu’accompagnée cette fois d’un commentaire mimique, cette interjection, qui ne peut s’écrire, était une seconde énigme pour moi. Il parait qu’elle signifie « ne parlons pas de cela, » car le père, qui jusque-là n’avait pas semblé prendre garde à la conversation, se leva comme pour la rompre.

Il se faisait tard. Je me dirigeai vers mon gîte, échafaudant mes suppositions sur le peu que je venais d’apprendre. « Les fils de Gardoni, me disais-je tout en marchant, aiment ailleurs qu’il ne plairait à leur mère : c’est ce que prouve le gros soupir qu’elle a laissa échapper en parlant de leurs allées a dama. Quant à Pichichia, elle n’aime pas qui il plairait à sa mère, et celle-ci vient de s’en expliquer très clairement. L’amour ne fait jamais que des sottises. C’est absolument comme en France... » Tout en rêvant, je suivais un sentier tracé à mi-côte. A travers les festons de la vigne