Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/316

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le soir que Gambini et Biribino. Ce sont les deux plus jeunes. Le dernier, Benjamin de la famille, n’a que quatorze ans : c’est encore un enfant : il ne sait ni lire ni écrire couramment; mais un magister ambulant vient lui donner à domicile trois leçons par semaine moyennant un florin, c’est-à-dire vingt-quatre sous par mois. Barberino, qui n’a pas vingt et un ans, assiste parfois à la récitation du rosaire; mais Nappa et Piponi sont presque toujours absens. J’ai demandé de leurs nouvelles; on m’a répondu qu’ils étaient a dama.

— Et qu’ont-ils tant à faire à Dama? répliquai-je naïvement, prenant le mot dama pour le nom de quelque village voisin.

Pichichia sourit.

— Ils sont jeunes, me répondit sa mère avec un soupir refoulé.

Sachant les paysans de Toscane enclins au jeu, j’imaginai que le plaisir des cartes attirait mes gars dans une osteria des environs.

— Est-ce qu’ils s’y font plumer?

Chacun me regarda avec étonnement. Je pensai tout simplement que la métaphore française dont je venais de me servir était inusitée dans le pays, et je repris : — Est-ce qu’ils y laissent beaucoup d’argent, veux-je dire?

Nouvelle stupéfaction. — Mais, fit la massaja après un instant de silence et avec un mélange d’embarras et de déplaisir, ni Rosa ni Pépin a ne sont ce que vos’ signoria paraît croire.

Ce fut à mon tour de m’étonner. De Rosa et de Pepina je n’avais oncques entendu parler. Ma perspicacité s’élevait bien jusqu’à deviner qu’il s’agissait d’amourettes; mais, toujours coiffé de l’idée que Dama était le nom d’un lieu, je revins bravement à la charge :

— Ah! très bien. Je comprends. Dès que Rosa et Pepina habitent à Dama, tout s’explique.

— Que vos’ signoria m’excuse. Pepina est la fille d’un barbier de Pontasleve, et Rosa habite Grandina, sur le chemin de Pratolino.

— Qu’est-ce que vos fils vont alors faire à Dama?

Pichichia ne put contenir un éclat de rire; après elle, tous les autres partirent en chœur.

— Que vos’ signoria nous pardonne, mais elle commet une méprise.

Je ne m’en apercevais que trop; mais je pris de bonne grâce le parti de rire moi-même de mon sproposito. On m’expliqua qu’andar a dama signifie en bon français aller voir sa belle. Pour le coup, je trouvai que Pichichia traitait bien lestement ce sujet délicat. A son air dégagé, il était facile de juger que les escapades de ses frères lui paraissaient chose toute naturelle. Le soupir de la mère me semblait moins déplacé que le sourire de la fille. C’était de ma part